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Inventaire avant liquidation
8 décembre 2018

Remédiations rétrospectives; le véritable archétype de l’âme-sœur?

     En vain m’emploierais-je à le nier : le soi grandiose a pris ses quartiers d’hiver dans le présent bouquin, et je finis par me gargariser de son surpoids et de son “irréprochabilité” formelle ligne à ligne (le premier indéniable, la seconde très sujette à caution), sans plus me préoccuper des objectifs qu’il s’était fixés, ni de répondre à la question : qu’ai-je trouvé? qu’ai-je fait de ces sept ans, de ces douze millions de caracs, dont six au moins étaient écrits avant, et un demi par d’autres? À quoi rime le “cacatalogue” de mes livres antérieurs, qui laisse “que vaut-ce?” sans réponse? Est-il possible de prétendre faire œuvre, voire chef-d’œuvre, de la critique marginale, aussi vétilleuse qu’ignare, d’ouvrages de psy au surplus pas spécialement bien choisis? Or voilà à quoi se réduisent les deux derniers tiers de cette prétendue Somme, qui, sans l’avouer ouvertement, prétendait se ranger parmi les œuvres autodescriptives majeures de l’humanité, dans la lignée des Essais ou des Confessions ou de la Règle du jeu, alors que ses seules qualités, ou caractéristiques, semblent se fixer pour idéal un cadavre de baleine bien lavé par l’océan, et n’avoir, en fin de compte, pour effet que de mettre les lecteurs en fuite… devant l’odeur. N’est-il pas cuisamment significatif que j’aie achevé mes recensions par la copie d’une qui date d’avant Choix d’un pronom, et semble donc réduire à néant tout l’intervalle? Il est vrai qu’à présent j’ai changé d’affres, car on ne peut me taxer de n’avoir pas bougé durant le dernier automne : sur le plan étiologique en tout cas, j’ai vu mes deux rejets fondateurs, que plus ou moins secrètement je comptais dès la ligne un retrouver à la dernière, se désagréger dans le doute : d’“effectifs sans être intentionnels”, je sens qu’ils sont passés, dans leur simple réalité pour mon ex-soi, au rang d’hypothèses de moins en moins crédibles, pendant que “mon mal”, censé venir de si loin, s’accommodait d’une naissance de plus en plus tardive, laquelle destitue les mérites de la lucidité, et met sur la sellette l’ignorance et l’entêtement. Je n’écarte pas d’éventuelles raisons archaïques, voire ataviques, de ne pas être, ou être assez, en d’autres termes de manquer de tempérament,à quoi j’aurais réagi par le paraître; mais je n’ai aucun moyen d’y accéder. Je n’exclus pas non plus d’avoir pâti, tout jeune, non d’une déficience des soins, mais d’un excès de sollicitude et d’un manque d’autorité; d’avoir, loin d’être rabroué, au contraire assez longtemps été traité en roi pour m’insurger que ça finît. À l’époque où commence à balbutier ma mémoire, en tout cas, vers six ans, je trouve le besoin ou la conviction d’être le premier, l’évidence factuelle de ne l’être point, la solution du semblant, et, un peu plus tard, quand je serai devenu ma propre, et, qui sait, ma seule dupe, le besoin, tout de même, de savoir à quoi m’en tenir, et un désarroi, qui n’a pas faibli depuis, comme on vient de voir, face à la pitié et à la charité, authentiques ou imaginaires, à mon encontre : est-ce qu’il est plausible qu’un instituteur, circa 1957, ait profité d’une absence du borgne pour demander à ses petits camarades de ne pas le malmener, et surtout qu’odieux comme je devais déjà l’être, aucun d’eux n’ait mangé le morceau? Le foldingue, en l’affaire, c’est peut-être de poser la question.

     Qu’eût-on pu, qu’eût-il fallu faire? Ce n’est pas mon genre de pleurer sur le lait versé, mais si l’on admet que tout n’était pas joué d’emblée, la question devrait présenter quelque intérêt pour des parents confrontés à des situations similaires. Étant donné un cadet dont la cervelle, quelles qu’en soient les raisons (et il en existe pour qu’il y ait là une norme), s’est éveillée avec deux ans d’avance, faudrait-il le coller en file d’attente à dessiner des bonshommes chez les sœurs, afin d’éviter toute perturbation à son lourdaud d’aîné? Si ledit aîné se venge de ses insuffisances cérébrales en tabassant le surdoué, quoi de mieux (tant que ce fut possible : l’égalitarisme forcené a flingué ce genre de solution, dans le “public” du moins) que de faire valser la brute une classe plus loin? On ne consultait pas un toubib pour si peu, à l’époque, et mes vieux n’avaient pas de fric à perdre en vue d’un improbableprofit psychique, d’un mieux-être que je ne méritais pas. Jusque là, rien à redire, si ce n’est au terreau originel d’inamour dans lequel ces fleurs du mal ont ou auraient poussé, car il demeure conjectural; et qu’y pouvaient changer mes parents? Aimer ne s’apprend que très jeune, et l’on ne transmet pas ce qu’on ignore, a fortiori ce qu’on ignore ignorer. Ça n’empêche nullement d’imaginer un monde où les performances du petit enchanteraient le grand, et vous aurez beau dire, je ne crois pas que ce monde-là pécherait par un moindre rendement. Mais si j’y ai vécu, c’est tout au plus une quinzaine de mois, qui d’eux m’auraient laissé, qui sait, la nostalgie : j’ai pas mal trituré hors-micro l’hypothèse formulée quelques pages plus haut, selon laquelle mon petit frère, en ce laps de perfusion psychique où j’ai dû lui enseigner tout ce que je savais à mesure qu’on m’en gavait, fut, sinon l’archétype de l’âme-sœur, du moins son premier objet transférentiel et sa première spécification : dès lors, j’existerais dans l’œil de l’autre par le reflet de ce que je lui apprendrais, du plaisir et du profit, ou à défaut, de la souffrance qu’il en tirerait, et dont il me ferait hommage [1] : l’œil s’est reféminisé ensuite (Michel, d’ailleurs, ne m’a jamais paru très viril), mais de cette prison-là je crois n’être jamais sorti, et quant à la “trahison” finale, elle ne m’a jamais fait faux-bond, avec aucune. J’en raccepterais bien volontiers l’augure, d’ailleurs, et déplore seulement que la dernière date de… bigre! Julie, hiver 2012, cinq ans déjà! Il faut s’y faire, les correspondantes, à qui pourtant toute liberté est donnée de dissimuler âge, laideur et handicaps, semblent une espèce disparue.

     Dans le monde de la compète, truquée ou pas, qui est le nôtre, je me contenterai, à ce stade, de conseiller aux parents de faire gaffe aux dommages subis par un gosse qui sert de père à l’autre, et pourrais tout au plus reprocher à papa-maman de ne pas m’avoir facilité le saut : ignorer cexé qu'une rédac', tout de même! Mais un diagnostic de roublardise n’est pas à écarter : il se peut que l’anecdote témoigne de premiers pas dans l’action passive… Et ma pauv’ mère, avec trois, puis quatre moutards en bas-âge, n’avait guère le loisir de regarder nos cahiers… À part ça, quoi? Est-ce que je me figure, par hasard, qu’un orgueil démesuré n’avait pas dès lors montré l’oreille, et qu’on n’a pas tenté de me raisonner? J’ai chialé comme une fontaine en classe, à treize ans, un âge où la dignité devrait refouler les larmes, un jour que Guérin, mon prof de français, à qui je prétendais en remontrer sur quelque point de grammaire, m’avait rembarré, plus doucement que je n’eusse fait, bien plus tard, en pareil cas; et encore à dix-huit, ma fausse modestie devait sonner le toc : une réplique d’un De la Fournière, prof d’histoire-géo en khâgne, commentant une de mes copies, me déchire encore le tympan : « Vous savez, Marx n’est pas une espèce de cancre à qui vous puissiez remonter les bretelles! » Ma mère, tant qu’elle eut voix au chapitre, et mon père, qui s’était fait une spécialité à vie du dégonflement des baudruches, ont bien dû essayer, mais elle aboyait, et lui, d’une voix blanche, laissait choir du haut de l’Olympe un mépris qui ne daignait pas s’expliquer : « Pauv’ cornecul… »Même quand ils étaient sûrs d’avoir raison, la peur d’échouer à convaincre leur interdisait de remettre leur pouvoir en question; et l’on revient à la case départ : il aurait fallu s’y prendre avec amour, et sans mentir, ce qui est beaucoup demander, sauf que ça doit être élémentaire… mais dans d’autres microcosmes familiaux, de faire sentir à un enfant qu’il n’est pas nécessaire de mériter d’être aimé. Chez moi, très tôt, l’un s’est rivé à l’autre, et l’illusion ou la quête du mérite s’est substituée à l’amour des objets.

 

[1] À la limite du conscient, il se pourrait qu’à chaque acquisition de bouquin exigeant le moindre effort intellectuel, voire de chaque note que je griffonne en marge, ce soit mon puîné que j’imagine inspectant ma bibliothèque après mon décès, alors qu’il ne m’a jamais concédé, que je sache, la moindre qualité : “souvenir oublié” de ma première enfance?

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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