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Inventaire avant liquidation
11 décembre 2018

L'art d'être aimé s'enseigne-t-il? Erreurs, destin et soi grandiose

     Le plus gros de mon irrattrapable retard, je le prendrais ultérieurement. Mais n’était-il pas déjà programmé dans le mariage d’un manque au fond connu pour tel, mais jamais publiquement reconnu,avec la prétention à la première place, qu’aiguillonnaient le temps et les échecs? Au surplus, si l’on rejette toute croyance au destin, comme elle le mérite, la contradiction est patente, de se vouloir choisi précisément par l’élue de votre cœur, qui n’est pas le premier thon venu, même si l’élection, comme celle de Miss Monde, garde son mystère. Me plaindre de la minceur de mes sentiments, n’est-ce pas censurer une douzaine de coups de foudre, de “celle-ci, et non une une autre” restés désespérément muets, dans les rues, les trains, les gares, la queue de Mammouth? Oh, je baissais mes prix! Mais celles avec qui je me serais laissé faire gardaient toujours un temps de retard sur celles qui n’auraient pas dit non, et quoi qu’il en soit, quand on ne fait pas d’avances, ou de fort malgracieuses… Bref, halte aux lamentations, ç’aurait durer toute la vie, courte de préférence, et je ne suis pas si mécontent qu’elle se soit étirée jusqu’au moment d’y comprendre quelque chose sans que cet intérêt-là soit gâté par le crypto-souci de plaire, qui surprendrait bien des gens à qui j’ai tant déplu.

     Un crapaud hébété aurait eu des raisons pour choisir le délire interne, réduire toute différence à des valeurs comparées, et assimiler le deuxième au dernier. Je n’étais ni crapaud ni hébété, simplement moins beau et moins intelligent que mon frère, et bien d’autres : que ça m’ait poussé vers des voies moins frayées, passerait encore; mais elles étaient bourbeuses, pleines d’épines, on n’y avançait pas : il suffit de voir quels progrès j’ai faits ces sept ans, voire ces quinze, et comme je piétine encore dans cette dernière ligne droite, où j’étais censé sprinter.

     Il faut dire, à la charge et décharge du magma merdeux que je viens de faire avec cette enième resucée de l’amour de Claire, qu’il va trop évidemment au rebours de ce que j’entendais montrer, je me demande bien comment, en lançant le sujet : à savoir, que rien n’était joué, et que tous les jours, ou presque, j’ai choisi, oulaissé ce soin à ma paresse, que j’étais libre, et optais sciemment, via l'évitement du heurt, pour un moindre-heur. Or je ne savais rien du tout, et notamment rien d’un art d’être aimé, sur lequel je me garderais bien d’écrire un traité avec le peu d’expérience acquise en un demi-siècle, mais il me semble que le gamin que je suis resté serait tout de même capable de donner quelques conseils au nain mégalomane que j’étais alors. Les aurais-je écoutés? Pas sûr, et en tout cas, à l’expresse condition de les faire miens au préalable. D’autre part, je n’avais fait confidence de cet amour à personne; mais c’était, en famille, à l’école, et probablement pour Claire elle-même, un secret de Polichinelle. Merde! Si j’avais un fils aussi taré que moi, j’essaierais au moins de lui expliquer qu’on ne séduit pas les filles en feignant de ne pas les voir et en chantant son propre los, bien que cette technique-là puisse marcher pour les bellâtres; qu’il faut, paradoxalement, exhiber la bonne opinion qu’on a d’elles, et en remettre des louches, au lieu de les humilier, et de s’exalter, soi, pour prétendument rééquilibrer et leur donner à mesurer quelle bonne affaire elles feraient en jetant leur dévolu sur nous; que rien n’est écrit dans les cieux, et qu’attendre, c’est perdre à coup sûr : qu’il faut parler, à défaut écrire « juste pour te remercier de l’oxygène que tu m’insuffles, en te contentant d’être là, si belle », et gna gna gna, ou offrir une fleurette tous les matins, se renseigner sur la date de leur anniversaire, etc; et je débloquerais des fonds ad hoc… Où ça le mènerait-il? Éventuellement à une désacralisation, à une initiation à l’altérité moins douloureuses que le choix d’un autre par son adorée; or je me demande si ce n’est pas une page blanche que j’avais logée sur l’autel, une page où nous n’aurions rien su écrire, et si ce n’est pas aussi du risque de rester sec que je me protégeais, en préservant ce miroir absolu d’innocence et de bonté, qui au fond est resté à peu près intact, lui aussi, dans son coin, ne voulant rien savoir de la fille de chair qu’était ma Dulcinée.

     Des conseils, je n’ai pas souvenance d’en avoir entendu; et quoi qu’il en soit ils auraient dû s’en prendre, de face ou de biais, au soi grandiose, qui resterait très longtemps inattaquable, et qu’à l’heure actuelle je doute fort d’avoir terrassé : il suffit de voir quel bouleversement, quelle rage, suscite le simple soupçon qu’une ex de naguère, et que je n’ai jamais élue gardienne de ma valeur, tienne pour corvée de me lire, et n’en exhibe pas moins l’intention saugrenue d’“acheter le bouquin”, parce que le pauvre type paraît y attacher tant d’importance, à son charabia! Quand je parle de fatalité du fiasco, j’entends que ce destin était inscrit dans le délire d’outrecuidance même, dont il serait hardi de supposer que le “moi-z’aussi” de Claire m’eût guéri. Le retard sexuel a dit son mot, c’est certain : laissé en marge des baisers et des caresses, je me suis raidi dans une supériorité de plus en plus illusoire, à mesure que se fanaient les lauriers glanés pour une fille qui s’en fichait pas mal, et à la faveur d’une concurrence déficiente – laquelle, pour le peu que j’en trouve sur Internet, m’a dépassé depuis de quelques milliers de coudées! Mais n’insistons pas là-dessus, je me fous de leurs châteaux, de leurs millions, de leurs chaires en Fuck, et même, au fond, des bouquins qu’ils pourraient avoir publiés. Si je les enviais de quelque chose, ce serait d’avoir pleinement vécu, de s’être sentis, consciemment ou non, justifiés d’exister, d’avoir été aimés,et comment le saurais-je, à moins d’entr’ouvrir la porte à un : « Oh, lui, zut, non! » ou, pis peut-être, à un « Qui ça? »? S’il était difficile de redresser la barre à l’époque, au moins pouvait-on espérer des compensations. À présent, même pas. Essayons quand même d’aller de l’avant, sans nous cacher que nous laissons en blanc la question cruciale, de savoir si la prise de conscience d’une indignité essentielle, d’une inégibilité à l’estime et à l’amour, n’a pas précédé la formation du soi grandiose. J’ai répondu que non, tout en restant persuadé que oui, et que mes salauds de parents… Stop, attendons que ça décante pour y revenir, mais sans oublier que si le vice de base est d’avoir à mériter d’être aimé, c’est dans cette annexe de lycée à la cambrousse, en bossant pour “mériter” Claire, palpable absurdité, que j’ai connu la seule plage de bonheur durable, sinon la plus enivrante, de mon existence. L’étrange en l’affaire étant tout de même que ce qui donnait vie à ce bonheur restait en principe secret, et en tout cas absent de la trame visible de mes jours : n’est-ce pas, et plus grièvement encore, le cas aujourd’hui même, pour un bonhomme qui n’aspire qu’au regard susceptible de lui donner l’être, et qui consacre l’intégralité de son temps utile, dans une solitude complète, à cette espèce de tâche transitionnelle, de doudou narcissique qu’est l’écriture? C’est d’ailleurs à cette époque qu’elle fit ses premiers pas, un démarquage de la Chanson de Roland plein de combats à la con qui ne pouvaient que barbifier une fillette, et que je ne lui donnai jamais à lire, comptant sur les potes et la prof pour en chanter le los à ses oreilles : il me semble que si le doudou remplace, c’est de par la fonction d’appel qu’on lui prête, et qu’à cet égard il n’a cessé de croître en inefficience.

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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