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Inventaire avant liquidation
10 janvier 2019

Hypocondrie, suite : maux divers

     Entre Buu et Magot, quoi donc me décida? À vue de nez, ils étaient aussi bas-de-gamme l’un que l’autre, et il n’était pas question de m’adresser au seul cador qu’on m’eût conseillé, qui officiait dans le même cabinet que le lutin. Ce dernier m’assura que même si, à l’évidence, il n’allait plus vers son été, il n’envisageait pas la retraite dans l’immédiat. À la question : « Est-on sûr de vous revoir à la prochaine visite? », Buu, lui, pris de court, n’avait su que produire des sons sans sens, où s’oyait clairement la résolution de mettre les bouts dès que s’en esquisserait la moindre opportunité. La secrétaire de Magot, jolie, polie, compréhensive, charmante, finissait mes phrases. Je n’avais pas attendu, alors que le poireau semblait de règle dans le cabinet des éphémères. Last but not least, des accords étant passés avec ma mutuelle, je ne débourserais pas un rond pour les soins ordinaires.

     La séance dura une heure. La dent prétendument “condamnée” était si solide qu’il fallut quasi la scier, puis extraire séparément ses trois racines; le pauvre vieux, n’en pouvant plus en fin de journée, maniait sa roulette de manière si gauche et si rageuse qu’il me parut avoir fortement entamé et déchaussé la dent voisine, elle-même sans appui à gauche depuis quarante-cinq ans; et je m’en persuadai si bien dans les heures qui suivirent que je pris rencard avec une dentiste très locale, si besogneuse qu’elle inscrivit en tiers-payant une consultation payée en liquide; elle calma toutefois mon courroux, exacerbé par l’impuissance, en lisant une carie là où j’avais imaginé un trait de roulette, de sorte que je revins à, comment l’ai-je appelé? Magot, lequel m’arracha cette voisine, aussi isolée désormais qu’un menhir à Carnac… Je suis incontestablement le roi des cons de m’être laissé faire, de crainte que l’attente ne débouchât sur une extraction difficile : en ce genre, il eût été difficile de faire pire. Il y a une centaine de dentistes dans ma ville, sinon plus, et j’aurais aller de l’un à l’autre jusqu’à en trouver un pour rafistoler provisoirement un homme provisoire, et nullement soucieux d’emporter des dents saines dans la tombe. Cela posé, Grincheux ne l’est pas tant que ça, son abord revêche cède à un sourire, et, quand on en prend l’initiative, on s’avise qu’il n’est pas ignare, n’explique pas si mal, et aime à plaisanter : c’est un mal-aimé, ou qui se sent tel, jaloux de son collègue-à-succès, il peut se braquer pour un rien, mais s’épanouir aussi aisément; et s’il sucre les fraises, si sa roulette me paraît travailler trop en profondeur pour pas grand-chose, si je manque continuellement de respirer de l’ivoire parce que l’animal bosse sans aspirateur, si ses mastics provisoires sont de la marque “je-tombe-dès-la-nuit”, il semble tout de même savoir ce qu’il fait, ne pas viser qu’à s’enrichir, et avoir une bonne patte pour les finitions. À ce jour toutes les douleurs post-opératoires se sont dissipées en 24 heures, et le fantôme de l’affreux arrachage de mes 22-23 ans, qui a plané sur ma vie entière, s’est dissipé – définitivement? Faut voir : arguant de l’anniversaire de ma mère, j’ai remis à la mi-mai cinq ou six extractions – et l’emplette d’un mixer.

     Est-ce que je geins en ce moment? C’est ridicule. Je ne compare pas mes très ordinaires ennuis de santé aux souffrances des authentiques blessés ou malades, je campe un bilan, censé déboucher sur un que faire? Restreindre à jamais les plaisirs de la bouffe ne m’est pas indifférent, je redoute une sorte d’avachissement lié à la perte de la mastication, surtout du chewing-gum, une addiction qui a fêté son seizième anniversaire, et qu’en seize ans je n’ai pas réussi à casser un jour entier : clivage mineur mais tout de même bien drôle, quand apparaît un alcoolique, un accro à la coke ou à l’héroïne, dans un roman américain, et qu’il trébuche sur la voie du sevrage, je saute des pages, me désintéressant de ce minable, dont le recul m’agace comme perte de temps, alors que je ne parviens pas à m’arracher moi-même à une accoutumance sans assuétude, que les ruptures de stocks, de plus en plus fréquentes, dotent d’une dimension tragi-comique; au surplus je vapote à longueur de jour! Mais enfin, ce ne sont là que des considérations additionnelles, je ne vais certainement pas me flinguer parce que mes chailles se seront fait la malle.

     Sur quoi, laissons les acouphènes, qui sifflent depuis une dizaine d’années, si tonitruants parfois que je me demande comment je peux les supporter le plus gros du jour; mais c’est tout simple : ils sont en général constants, la musique les émousse, et surtout quelque pensée m’accapare, soit de très bas étage (accès de parano ciblée, objets “inexplicablement” égarés, etc), de plus en plus rarement ambitieuse, à l’ordinaire le mince effort de comprendre les lignes que j’ai sous les yeux… La volonté d’oublier les sifflements, en revanche, a partie perdue d’avance, et ils deviennent tout spécialement pénibles quand on les prend pour sujet; mais il est apaisant aussi que la médecine n’ait rien trouvé à y faire, et abandonné le terrain aux “herbes chinoises” des charlatans : la résignation m’est aussi facile devant la nature qu’insupportable face à l’oppression humaine, ouverte ou masquée, réelle ou supposée… laissons : ils ne m’empêchent pas de dormir, et ce n’est pas d’eux que je mourrai, avec des contorsions de dessin animé : je regrette seulement de n’avoir pas mieux goûté l’époque où ils ne retentissaient pas; et ce regret devrait m’enseigner à jouir du présent; car je les ai déjà surpris à me jouer des airs, et ça se laisse moins facilement oublier.

     Passons aussi les maux de bide et les mauvaises digestions, devenus chroniques hors-canicules, et qui doivent assurément beaucoup à la mangeaille, mais je ne suis pas parvenu à découvrir l’aliment de trop, ou celui qui manque; d’un mois l’autre, je découvre ou redécouvre œufs, poireaux, yaourts, brocolis, ananas, viande ou matières grasses, qui semblent “marcher”, puis ne suffisent plus, parce que trop systématiquement consommés? J’incrimine quelque additif au pain de mie de chez LIDL, ou le xylitol des chewing-gums, sans oublier que les mets que j’incrimine, j’en avais bouffé auparavant des quintaux, ni l’origine iatrogène ou au moins nosocomiale d’un mal qui m’occupe considérablement plus que les précédents, mais, lui non plus, ne m’inclinera pas à des résolutions définitives.

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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