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Inventaire avant liquidation
12 janvier 2019

Bouffée d’hypercritique histrionique : le “type bien” que je ne suis pas

     Non, non, merde, NON, je ne me plains pas! Je reçois une documentation assez abondante de l’UNICEF, de Handicap International, et de quelques autres, dont je lis, quoiqu’en diagonale, une portion assez substantielle, pour ne pas oublier l’exemption de maux physiques sérieux dont je bénéficie depuis presque soixante-dix ans. Quand je me tire un bilan de santé, avec ses conséquences éventuelles, c’est en tant qu’équivalent-lambda de tout homme qui, tôt ou tard, aborde la vieillesse, et devra bien, un jour ou l’autre, se poser la question du raccourci, sauf à laisser la médecine prolonger une vie sans sens. Tout au plus pourrait-on me taxer d’être banal, avec ma prostate, mes acouphènes, mon côlon irritable et mes dents qui se barrent en sucette, de montrer ce que le commun des mortels a la décence de cacher, pour ne pas emmerder le monde avec des maux et des angoisses qui intéressent tout ledit monde, mais pris individuellement – ou en famille, ou en groupe élargi? Est-ce au repli égoïste sur mes micro-bobos que je dois les crises d’auto-dégoût via l’(imaginaire)œil de l’autre qui crèvent périodiquement la croûte protectrice? Je lisais hier soir le premier roman d’une jeunette,plus languissant que coruscant pour la plus longue part, mais, par art ou transposition directe de la vie, parvenant à (re)créer une atmosphère, et à exciter des sentiments chez son lecteur (gêne et rancune surtout, mais aussi bonheur d’aimer… les mouflettes) : The longest night, traduit par Idaho, parce que le gros de l’action se déroule à Idaho Falls, ou dans une mini-centrale atomique proche, dont le réacteur va finir par sauter, tuant trois des soldats qui y bossent (l’affaire, authentique, date du 3 janvier 1961, et les carences de l’armée sont soulignées d’un trait épais). Le héros en second, le mari (plutôt guindé, coincé et déplaisant dans l’ensemble), connaissant les risques, envoie promener pompiers et infirmiers, pénètre sans protection sur les lieux, et tient à accompagner son collègue mourant dans l’ambulance, pour le réconforter un peu, alors que son supérieur et pire ennemi lui lance : « Ne fais pas le con. Ne meurs pas pour un type déjà mort. » Et certes il n’aurait pas eu besoin de me le dire. Comme avec moi l’ego n’est jamais loin, c’est une comparaison avec la petitesse, confinant à la vilenie, de mes quelques paragraphes du matin, centrés sur ma survie sans ombre de souci d’autrui, qui déferle en moi comme si une canalisation avait pété, bien sûr pas sous forme de compassion ou de dévouement – ils ne sauraient, de toute façon, se poser que sur des personnages de roman : je ne connais plus personne dans la vie – mais d’un effort fébrile et désordonné de cacher la merde au chat, par exemple en récrivant ce bilan à la troisième personne, de manière à y installer une certaine distance ironique, à insinuer combien mesquin et méprisable est celui qui le dresse, ou plutôt à montrer que c’est volontairement que je le mets en vitrine, parce que c’est le devoir que je me suis choisi, mais que je ne me trouve pas meilleur pour autant, le plan luciditaire excepté. Clivage? Vous avez dit clivage? Je crois bien que je finis par le dire avec vous : les nuances subtiles se sont écaillées et envolées au vent. Conviction profonde d’être un objet de rebut, je ne sais si je puis aller jusque là : la place de la conviction semble chez moi occupée par quelqu’un d’autre, auquel je refuse de donner raison. Mais l’effort de lucidité m’apparaît de plus en plus comme une tentative d’évitement jusque dans l’énonciation de l’évité, tentative toujours reprise, qui a duré quasiment ma vie entière, et qui, sur la fin, atteint son akmè dans le plus complet dénuement affectif. La crisette d’hier soir, relative à un défaut de moralité ou de virilité, n’est pas un Tchernobyl interne, mais le reflète néanmoins, parce qu’à travers cette “bonne tenue”, cette dignité de Paul (le Paul du livre), c’est l’inconscience de ma négligeabilité qui est visée, c’est ma prétention à être quelque chose dont je ne sais peut-être même pas en quoi ça pourrait consister, que je fasse de vains efforts pour me conformer à tous les modèles qui passent, ou opte pour l’hypercritique histrionique. Et bien sûr on pourrait supposer que le premier de ces maux est des plus répandus, surtout quand on ne fréquente que des livres, et qu’on voit régner sur neuf dixièmes d’entre eux le prêt-à-penser et les phrases convenues : ce qui m’isole, à vue de nez, ce serait plutôt de ne pas m’en satisfaire. Mais là-dessus encore, puis-je me fier à mon avis? Est-ce que ne m’apparaîtrait pas “convenu”, trop souvent, ce qui passe ma comprenette ou ma tolérance? Et notamment cette vision du psychopathe comme séparé de sa propre douleur, et prêt à toutes les contorsions, jusqu’au meurtre ou au suicide, pour ne pas la rencontrer? Peut-être me suis-je donné trop d’importance dans tous ces chapitres consacrés à la “pathologie du lien” ou à ma “méchanceté”, laquelle, attendu son efficience, pourrait n’avoir jamais suscité qu’indifférence ou pitié. Mais il n’est pas impossible non plus qu’en revanche j’aie minimisé mes souffrances non pas physiques, bien modestes jusqu’à l’heure, mais psychiques, si l’on entend par là celles que j’ai enterrées pour ne pas les ressentir, de sorte que leur trou ne se signalerait que par un tumulus de symptômes, au premier rang desquels la nécrose des sentiments. Je ne tiens pas à revenir sur leur genèse, du moins sur la relaxe accordée à mes vieux pour doute raisonnable, et d’autre part, je me fous du “bon sens”, s’il n’est composé que d’habitudes. Mais il faut bien convenir que la fuite incessante dont ma vie s’est composée, et qui n’a pu s’arrêter en un lieu qu’à condition de n’y pas nouer une liaison en seize ans, ne coïncide pas exactement avec un choix de la joie contre le bon sens; dans Idaho, la femme, seule pour six mois avec ses deux gamines, tombe amoureuse d’un cow-boy du coin, et on la trouverait bien excusable, même en chaussant les lunettes de l’époque (celle de mon enfance, à peu près, et en Amérique rurale!), de l’accueillir dans son lit. Songez à ce que c’est, en plus de seize ans, de n’avoir connu que des lambeaux, des esquisses imaginaires d’affections, de n’avoir pu garder une correspondante plus de quelques mois, et, toute une vie, de n’avoir réussi à survivre et à “produire” (quoi donc, grand Dieu!) qu’au prix de me passer de relhum! Mais non, mais non, je ne geins pas : dans une optique de liberté, je suis responsable de cette situation, qui me convient, à condition de consentir à désespérer complètement de l’Autre Idéal, dont je me sens prêt à serrer sur mon cœur des avatars très dégradés, mais on dirait que ceux qui se proposent ont à cœur de me rappeler, par quelque “affront”, le rôle subalterne qu’ils m’assignent, face à quoi je n’ai d’autre recours que de m’enfermer à nouveau dans mon ermitage, et d’affecter pour la galerie de me passer d’elle à l’aise – affectation qui devient peu à peu ma vérité? Disons seulement qu’elle est devenue à peu près indolore, tant qu’une nouvelle agression, réelle ou fantasmée, infime-mais-représentative, n’a pas arraché la croûte; et le plus grave, c’est quand, tout bien reconsidéré, je crois saisir que j’étais, moi, l’agresseur, car je suis incapable de braver indifférence ou mépris pour présenter des excuses et réparer des outrages – verbaux à presque 100%.

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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