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Inventaire avant liquidation
15 janvier 2019

Ce que ça vaut; retour au suicide euthanasique

     Avouons-le : je ne sais toujours pas ce que ça vaut, ni si cette soi-disant valeur pourrait présenter un sens tant soit peu durable : il est clair que ce qui est ne saurait égaler, même de loin, ce qui, feuillevigné de nuages, se perdait dans l’azur du futur; qu’une entreprise d’emblée conçue inexécutable était vouée à n’enfanter que déceptions; cependant la petite mécanique de réhabilitation des passages réputés les plus loupés ne laisse pas de fonctionner encore, à l’occasion : lundi dernier, j’ai eu la surprise de trouver bien torchées les premières pages du Deuil sans peine, et ça m’a requinquillé pour la semaine. Question de référence, peut-être, d’étalon : à une époque où l’écriture, retombée en désuétude, est si généralement fautive que les fautes se font règles, et convenue qu’on en perd toute notion d’autre message que le massage, il n’est pas difficile de se rengorger d’une supériorité sur les masses dès qu’on accède à un rudiment d’adéquation des mots à une idée singulière; mais ça implique de renoncer au suffrage desdites masses, et de fait je pense avoir fait le pas décisif de fourrer mes rêves de percement au tiroir, et de perdre la clef d’icelui. Présomptueux, de la part d’un jobard que le faux courriel signé du consécrateur professionnel le plus puissant de France avait quelque peu agité il n’y a pas huit mois? Oh, bon, ça se peut, d’autant que je persiste à protester qu’écrire pour soi n’est qu’un leurre, et pour la postérité tout autant. Or qu’est-ce que je ferais donc, en ce moment, hormis l’un ou l’autre? Pourquoi tiendrais-je, avant de mourir, à relire, à corriger, et sinon à achever ce monstre inachevable, du moins à le mener jusqu’au point d’inachèvement tenu pour nécessaire par mon bon plaisir? Ma foi, une simple inversion des données permettrait sans doute de répondre à la question : tiens-je tant à finir en soi, ou ne serait-ce pas plutôt l’excuse que je me donne de ne pas mourir encore? Sans même exclure, “enfin libéré” de ce boulot, d’aller ensuite à la pêche aux projets, plutôt nouvelles que roman-fleuve, tout de même : je ne me vois pas, à soixante-dix berges et la mémoire en lambeaux, avec cinq mille pages de “roman de mon siècle” sur la planche! Quoique… Au moins m’obligerait-ce à me tuyauter sur tout ce que, les yeux rivés sur mon nombril, je n’aurai pas vécu! Et me dispenserait-ce, le “fond” m’étant dicté, d’une ultime “vérification” de mon potentiel de créativité en matière de fiction…

     Nul ne peut s’assurer de succès véritable sans prendre le risque de l’échec, ni, à moins d’être né tout près de ses sources, accéder à la notoriété sans braver le ridicule : mon orgueil n’a jamais eu ce courage. Le neuf à présent, même s’il sonne “trop vert”, c’est qu’il m’enquiquinerait plutôt, même sans péril, de devenir célèbre “au-dessous de moi” – de ce que fut mon “niveau” au meilleur de ma forme, lequel ne sera jamais restauré au vivant, même si, dans une certaine mesure, s’agissant de créa/fabrication, la persévérance peut suppléer aux facilités enfuies, qui ne me sont jamais venues que de l’excitation de l’échange et du combat. Je ne suis pas acculé à boire la ciguë, mais tout de même il ne faudrait pas tarder trop longtemps encore, l’érosion de l’acuité, tant visuelle que cérébrale, étant imprévisible à la rigueur : tout ce dont je suis à peu près sûr, c’est qu’une bonne nuit de sommeil débouche sur une journée de vue passable; le fâcheux, c’est que ladite nuit, je ne peux plus me la procurer sans Xanax, Zopiclone ou Noctamide à doses croissantes, à moins de me crever à quelque tâche physique, et ma vie n’en comporte pas d’utile ou d’agréable pour plus d’un jour par semaine. Que m’esquinter la vue en freinant les benzos me retape la cervelle, rien ne permet de le présumer, et quoi qu’il en soit, pas photo : je monterai fort bien à l’échafaud avec un entendement, mettons, fortement amoindri, mais pas sans voir où je mets les pieds.

     « Encore ta scie! » Oui, je reconnais qu’elle est exaspérante, surtout maniée par un sous peu septuagénaire, qui d’ailleurs admet à voix basse que le risque de gâtisme ou de cécité ne serait pas un tel tintouin s’il n’était escorté de carence affective. Il ne m’en semble pas moins avoir changé de cour, et que la persistance des projets dissimule une mutation intérieure. S’il est probable que les maux de l’âme, à commencer par le défaut d’amour et de simple reconnaissance, sont les ressorts secrets des tentatives de suicide les mieux cuirassées de sérénité, je n’imagine pas, pour ma part, de mettre les bouts avec un « Ouiiin! Mersonne ne m’aime! » plus ou moins déguisé, ni d’ailleurs parce que j’aurais découvert, une fois de plus, mais la bonne, que je n’ai jamais eu aucun talent, ou que j’en ai perdu le peu qui m’était imparti. Je pense déjà, si j’en avais fait preuve, n’avoir plus la moindre chance de le voir reconnu, ça m’a indéniablement cassé l’élan,mais ça ne m’empêche pas de jouir, le plus souvent de fantasmes et par procuration. En revanche, la survie à tâtons, même adoucie par la musique, la radio et du monde à qui parler, ne rencontrerait pas, je crois, beaucoup d’amateurs… D’ailleurs, même parmi les champions de résilience, s’en trouverait-il des brassées pour demander un rab d’existence à l’EHPAD du coin? Il nous arrive de ces pays-là des récits effrayants, et très crédibles dès qu’on se prend le pouls : les vieillards constituent la plus ingrate des clientèles, ils ne sont pas “abandonnés” pour rien, et en des temps où les saints sont rares, il serait naturel qu’on ne trouvât que des sagouins pour s’occuper d’eux. Qui ne préférerait l’euthanasie, surtout pratiquée en douceur et sans prévenir, donc sans résidu d’affres? La question du raccourci, excusez ma lourde insistance, se pose à tout le monde, et le problème est de saisir l’instant, vu qu’entre le doute et « trop tard! » bien souvent ne s’interpose qu’un fétu. Bien sûr, c’est signé d’un gars qui n’a jamais sérieusement souffert, et qui cane devant l’usage des lois de l'attraction terrestre à des fins autodestructives, comme dirait encore plus cuistre que lui… Même aveugle et tendons pétés, je suppose qu’un tough guy peut se hisser par dessus la balustrade, et

       Sauter du XVIIIème en criant : « Je m’écrase!

      Afin que les passants aient le temps d’ se garer…

     Sauf que, face à l’abîme, les tough guys sont plutôt des ladies, et que chez la plupart, l’insane désir de durer submerge les résolutions préalables. Que sommes-nous capables de supporter pour ne pas crever tout de suite? C’est bien beau de prendre des décisions, mais pas très sérieux quand c’est seulement devant soi-même, à qui l’on ne doit aucune fidélité. Depuis des ans, je jette régulièrement les tests de dépistage du cancer du côlon, que reçoivent chez nous tous les + de 50 ou 60 : soigner ce genre de mal, ai-je décrété, implique sac-à-merde, et de sac-à-merde, pas question pour mézigue : assertions hasardées, surtout la seconde… Après tout, je me suis bien habitué au sac à pisse… À quel seuil, de douleur, d’invalidité… ou d’outrage, se démettre? C’est l’affaire de chacun de se sonder, mais ce n’est pas facile quand la mort est ou paraît encore éloignée, et il me semble que l’apport d’autrui, en ces matières, ne doit pas être sous-estimé : un peu d’intérêt, une main à serrer, atténuent considérablement la souffrance physique, non seulement parce qu’ils en distraient, mais parce qu’il n’est plus besoin d’en faire montre.

     Le suicide fut le plus constant de mes thèmes, et, au seuil de la décrépitude, si le ridicule tuait, je serais mort depuis longtemps. Le désir de disparaître masquait mal celui d’apparaître, au moins pour tel ou telle, et ce minable bluff semi-conscient a marché quelquefois, autrefois, à condition de changer souvent de lieu et de public. J’ai peur qu’il ne soit pas si neuf de le croire, ce bluff, métamorphosé en pur projet d’évasion préventive, en dilemme qui s’impose à tous les hommes, ceux du moins qui ne laissent pas à Allah ou à la nature le soin de le trancher. Du moment que j’en parle, ou du moins en écris, même à mon seul bonnet, on ne peut exclure un fond de plainte et d’appel : seule en décidera la dernière scène du dernier acte, à laquelle j’assisterai seul, et qui s’évanouira avec moi. En ce moment, il me semble que j’avalerais le brouet létal sans un frisson. Mais il fait 21° dans ma piaule, 18 dehors, et les sommets pyrénéens à portée de godillot ne descendent même plus à zéro la nuit. Au surplus, je me porte comme un charme ce matin : il est un peu trop facile d’imaginer alerte et tranquille l’ultime grimpette, quand elle est remise aux frimas, et qu’il n’y a pas une semaine que le printemps s’est installé.

     Mais cette “dernière ligne droite” que “cinq ingrats éparpillés dans l’hexagone” n’ont guère facilitée à mon père (seule la première banalité est de sa plume, à la seconde il n’a fait qu’acquiescer, oubliant, en ingrat qu’il était lui-même, le dévouement de ma frangine), au nom de quoi me serait-elle plus douce, à moi qui n’ai même pas pris la précaution d’engendrer, et me sens d’avance aussi indomptable, emmerdeur et encombrant que lui? Quand on garde dans l’œil un tel exemple, c’est bien le moins de couper à la phase terminale. Mais il y a couper et couper, le prépuce ou un bon morceau de hampe, et en cet avril béni, quoiqu’un peu trop pluvieux, où la redécouverte de l’huile et des œufs m’a miraculeusement calmé le bide, où j’envisagerais presque de la rando en juin, où il me semble me suffire à moi-même comme si j’existais vraiment, je voudrais ne m’ôter que le moins possible, prendre juste l’avance nécessaire pour éviter le pire, à des lieues de ce chantage à l’amour (ou, sans le savoir, à la pitié) que j’ai pratiqué, plus ou moins discrètement, toute ma vie, avec un si mince succès.

     Je pense avoir fait de grands pas en direction de l’inexistence consentie, et parfois souhaitée : je le dis de bonne foi, mais incertain d’être lucide, d’autant que je m’arc-boute au modus operandi de geler dans mon sommeil, et qu’au sortir de l’hiver ça exige de jouer les alpinistes ou qu’on me prête la clef d’une chambre froide. La mort de loing fut toujours délivrance, mais il me semble qu’elle s’est agrémentée d’une certaine douceur : c’est raté, c’est raté, que voulez-vous, de toute façon tout s’égalise à la fin; au moins puis-je, d’ailleurs, me glorifier de n’avoir pas nui davantage, et de laisser derrière moi un vademecum du ratage, raté ou non lui-même, il n’importe pas si peu, puisque je vais m’atteler une dernière fois à le refondre, ou à le toiletter; mais quoi qu’il en soit, nul n’en saura rien, et si l’on devait en savoir quelque chose, je n’y serais plus, moi, pour en jouir ou en souffrir : à l’heure qui sonne, je me sens porté à faire mienne la prière (exaucée) du héros éponyme deLazare, “poème lyrique” de Zola, mis en musique par son pote Bruneau : dans cette œuvre périssable, que j’ai découverte récemment, un Lazare bizarre, tiré d’un shéol sans rêves, supplie Jésus de le renvoyer aux “infinies délices” du “grand sommeil noir” qui “était si bon, si bon”… On est tenté d’avancer d’un cran la lettre initiale, devant une absence dont jouirait l’absent, mais cette absurde “volupté du néant” calque assez bien ce que j’ai pu éprouver, au réveil bien sûr, après la seule anesthésie générale que j’aie subie ces dernières années, peut-être de toute ma vie (et il se plaint!), et suscite en moi un élan d’adhésion : « Lazare, rendors-toi! » Sic : c’est à pisser de rire, mais pour ma part, je ne demande rien d’autre; du reste, si je puis à la rigueur (et en commençant par essayer) changer d’actes, mes motivations demeureraient égoïstes : la compassion, à supposer qu’elle existe, ne figure pas dans mon patrimoine génétique, ou s’est atrophiée très tôt : je ne ferais le bien que pour me faire aimer, ou sauver mon propre cul de la grillade : qu’espérer donc d’un Rétributeur, de mieux que le néant? Et, somme toute, la mort n’est pas si mal faite, puisque c’est probablement ce que j’obtiendrai.

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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