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Inventaire avant liquidation
10 mars 2019

Romoments

     La solution de la paresse (ou, tout de même, de la demi-paresse, aucune loi ne m’interdisant le farniente complet, avec ou sans substances) consisterait à me libérer de tout programme, et à lancer un narrateur aux prises avec les affres de la dépendance croissante et de la débâcle mentale dans une histoire qui se dessinerait d’elle-même à chaque pas, en se totalisant dans la mesure du possible; je ne serais d’ailleurs pas obligé de faire de lui un solitaire : souvenons-nous que le pire, la haine à deux, m’a été épargné; pourtant, ma chronique de la déréliction constituerait sans doute l’option la plus honnête et la plus instructive : un enfermement à vie ès-murs de cet Inventaire dont je piaffe de m’évader, oui; mais de toute façon voilà beau temps qu’un présent dégringolatoire a fait irruption dans un autoportrait qui ne se voulait pas statique, mais ascensionnel, et l’est encore, par les petits traits que je m’imagine mieux comprendre, ou les évidences de toujours dont la cuisson s’apaise : la déchéance ne fait pas si mauvais ménage avec la très progressive (et sans doute superficielle, mais pas toujours purement verbale) prise de conscience de ma négligeabilité. Reste que je ne peux pas greffer ici toutes les foucades d’un journal intime, mes réactions devant la radio, par exemple, que je me suis mis à écouter à tout hasard, en quête d’une explication de ces incessants barrissements de diplodocus, en provenance du rond-point, à 4 ou 500 mètres de mon balcon. Le plus inhabituel est bien que je l’aie trouvée, et que, depuis six semaines, je continue d’écouter France-Info en bouffant, glanant un tuyau, l’oubliant le lendemain… Hier, c’était la mère d’une fillette atteinte de je ne sais quelle infirmité rare, qui lui interdit la parole et la locomotion; ça s’opère, oui, mais à Chicago, et c’est très cher… « Elle va s’éteindre si l’on ne peut pas rassembler l’argent… » Or, stupeur, la somme citée, c’est à peu près ce que je possède, moins l’indispensable réserve de roulement, qui (travaux de l’immeuble et prothèse dentaire) va être durement ponctionnée dans les mois à venir. Moi qui me demandais où placer mon pognon pour le protéger du macron de grand chemin Je ne vais pas vous la faire, ç’a mis quelques minutes à décanter, je n’avais pas écouté l’adresse, et ne m’en enquerrai pas; mais il est rare qu’une semaine passe sans un signe de ce genre, et celui-là m’a rendu un peu plus pensif que le commun de ses confrères : de mon naturel, je serais plutôt “opération T4”, et quand je pense à ces gosses en Inde qui attendaient, au commissariat, que de gros flics se réveillent, pour leur gratter le dos et leur servir le thé, à tous ceux qui gagnent leur croûte en fouillant les ordures, à cette population insensée que continuent d’accroître exponentiellement les lapinistes musulmans et tous leurs cons de pareils, pour conquérir un monde qu’elle ne manquera pas, à brève échéance, de rendre inhabitable, je trouve très mal joué de gaver un chirurgien et des paramedics américains pour arriver au mieux à prolonger une vie diminuée; et cependant, je ne renie pas l’émotion qui m’a saisi : s’il y a une émouvante folie du christianisme (je ne dis pas qu’elle lui soit propre, le bouddhisme, et surtout le jaïnisme, strictement végétarien, ont fait mieux en ce sens avant Jésus) c’est bien dans cette conviction que toute vie, du moins humaine, est sacrée, que toutes se valent pour Dieu, ou, si certaines davantage, alors, à proportion inverse de leur superbe : le bizarre étant que la morale officielle n’ait jamais été si chrétienne que depuis que Dieu a pris sa retraite [1]. Ça persiste à me foutre les boules qu’on consacre le fric des pauvres à bidouiller un monte-handicapés dans un immeuble sans handicapé, et… oh, assez! Trois lignes auraient suffi pour dire que c’était là le moment fort d’hier samedi : un peu plus fort que celui de la veille (découverte, tardive, dans la foulée de mes élucs sur Kennedy, d’American tabloid d’Ellroy, alors qu’il est dans ma bibal depuis des années) ou de l’avant-veille (quoique là mon pouls bondissando eût démenti : mon adresse n’était plus incomplète, mais fausse dans Pages Blanches, et pour comble le numéro où étaient allés se perdre tant de témoignages d’estime et d’admiration était celui d’Ilhem Bacha, Reine des Garces!… sauf que c’est aussi celui de mon étage, et donc qu’Orange, outil de mes relhum, me les avait rognées) : un moment sans plus de lendemain, je présume, que les autres… et, sur le point d’inscrire comme évident que le roman des moments ne serait qu’un zig-zag insupportable… Minute! Minute! Bien clair que je ne vais pas faire que ça… Mais une chose me frappe dès gogolisation : romoments existaille vaguement, en tant que vocable, mais dans le monde anglo-saxon (d’après le même moment, mais aussi, selon l’urban dictionary, un Tony Romo, dont je n’aurais qu’un geste à faire pour cesser d’ignorer tout); comme genre, je ne pense pas que ç’ait plus grand avenir devant soi que le romanquête du sieur Bernard-Henry Lévy, mais le concept, ou du moins, le mot, ne laisse pas d’être rare, voire, j’en jurerais, un ἅπαξ en français. Ouah! Voilà qui, je sens ça, va rester le moment fort du jour! Il faut dire qu’entre la vérification, ce matin, que sur le sens de principe anthropique, j’avais à demi-raison contre un physicien d’envergure mondiale, et l’espèce de rage de bébé qui m’a saisi en m’avisant que j’avais mis à la machine à laver ma plus performante cigarette électronique, à quoi succède à l’instant le soulagement de la trouver rechargée, la concurrence était faible. Si, dans une heure, la batterie me pète à la gueule, me procurant cette cécité que j’ai cessé de redouter, alors oui, le moment fondateur du romoments sera éclipsé; mais à l’heure qu’il est, il enfoncerait même une rétention nocturne le jour de grève du SAMU. Vous pourriez m’objecter que voilà bien du bruit pour peu. Savoir? Évidemment, à ce point de désarticulation, ce ne sera plus du roman du tout, pas plus que ne sont musique les détraquements pour snobs des neuf dixièmes de la casse-ouïe contemporaine; mais ce qui n’est pas roman devient, étiqueté tel, le plus original d’entre eux. Exactement, me semble-t-il ce dont j’ai besoin pour commencer mes journées, et, prospectivement, pour garder le cœur de leur donner un prix, alors que je suis fatigué à la mort des sempiternelles récapitulations de mon journal intime, qui se veulent tournées vers des solutions, et n’en accrochent pas la queue d’une. Je pressens que cette fois, c’est un fer neuf qu’on a inopinément mis au feu, et mon cœur chante l’air des clochettes. LE 23 décembre 2018, TROU A CRÉÉ UN GENRE? Du tout, mais plus important que ça, peut-être : une manière d’attaquer la vie. De lui donner du prix, ou de le dégager –sans effort de “pensée positive”, et sans tricher, de préférence, à moins que mentir un peu ne me facilite les choses. La journée la plus étale a ses moments forts, le risque est d’évidence de perdre tout son temps à s’étudier, et de fausser les données de la sorte (dans quel polar la femme d’un juge, je crois bien, passe-t-elle donc strictement tout son temps à remplir son journal intime? J’aurais dit Lehane, mais apparemment non, et Internet n’aide guère à répondre à de telles questions : ça me reviendra… ou pas), mais rien de plus bref pour un sédentaire que de jeter sur une feuille volante toutes les candidatures au GM du jour. La question du critère se pose d’emblée, et il ne va pas sans dire que l’émotion soit le meilleur : elle n’est pas toujours mesurable, et surtout survient trop souvent pour des broutilles infimes et infâmes : il me semble qu’on peut laisser intervenir l’esprit critique et s’efforcer d’élire le “moment fort” le plus intéressant, pour donner une certaine variété à cet ouvrage, dont on ne peut savoir où il va nous mener. C’est sa séduction, ou une de ses séductions, en tout cas le trajet n’est pas prévisible dans le détail, la question des synthèses, au moins partielles, se posera tôt ou tard, et il paraîtrait plus souhaitable de sortir de cet Inventaire que de le prolonger. Mais on y étouffe! Et si l’on sent bruire une brise par cette brèche… Pourquoi pas essayer?

 

[1] Quant aux actes, en dépit de quelques abominations surmédiatisées, je tends à penser que la férocité, même sans témoin, décline, au moins en occident, peut-être faute de circonstances favorables et de prétexte sanctifiant : il faut de nos jours être un scélérat d’exception pour perpétrer des atrocités qui allaient de soi pour le soudard moyen au temps des guerres de religion. Et non, la contradiction ne m’échappe pas. Mais nul n’ira soutenir que « Brûler, violer, torturer, massacrer » soit le message du Christ!

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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