En février 16, potin d’enfer au moindre coup de vent à la presque verticale de ma tête; or je m’y suis fourré, Dieu sait pourquoi, que mes doubles de clés du sas de la machinerie ascenseurs, qui permettent l’accès au toit par une fenêtre, au prix d’acrobaties élémentaires, ne tournent plus : je piaille donc auprès de Céline, l’engageant à transmettre; et c’est le maîmaître qui se pointe le surlendemain, à peu près à l’heure, mais sans clefs, que je vais réclamer à Guilaine, à qui je les ai refilées qui sait combien d’ans plus tôt? Abrégeons : le bonhomme risqua ses Berlutti et son Savile Row dans l’échancrure d’un abattant crasseux, puis découvrit la vue avec un ravissement de bon ton : « Je n’y étais jamais monté! » Transporta de ses mains blanches le chapeau chinois rouillé qui était cause du chambard, et dont la dernière attache avait cédé sans mal, ainsi que diverses saloperies que j’avais glanées pendant qu’il examinait les lieux, et me laissa, dix minutes après avoir frappé à ma porte, fort satisfait de sa personne. Man Dieu man Dieu qu’il est point fier c’t homm’ là! Je subis même sans irritation le los du Maître et de sa clâsse, chanté par Guilaine quand je lui rendis les clefs. Je ne suis pas amoureuse de lui, mèèè…Il faut bien convenir que si cette fameuse autorité naturelle, essentiellement faite de confiance en soi ou du semblant d’icelle, est une de mes bêtes les plus noires, c’est parce que je m’en sais dépourvu. Que dans des couches plus profondes je sois avide de m’y abandonner, et que la révolte ne soit qu’une façon, comme le lançait Lacan aux étudiants de mai 68, de “chercher un maître” qui consente à m’adouber, ça restera sans doute en débat jusqu’au seuil du caveau; mais il ne faudrait pas sous-estimer la culpabilité desdits Maîtres contre lesquels on se retourne avec d’autant plus de hargne qu’on a cru pouvoir roupiller un coup dans le carrosse dont ils tenaient les rênes. Je m’étais méfié; puis j’avais cessé de me méfier. En novembre, Irène avait fichu le camp, sans cacher qu’elle fuyait la dépense, mais en ne pipant mot de son montant, à moi qui l’avais vue la veille et l’avais délestée… bon, n’inversons pas le quasi-cadeau dont j’ai parlé plus haut. En décembre était passée une petite enquêtrice qui m’avait demandé, entre moult, à quoi je tenais le plus (l’ininstallation d’une antenne au-dessus de mon pensoir!) et si j’étais prêt à claquer “un peu d’argent” pour retaper l’immeuble : j’avais répondu qu’oui. Mais quand mon journal évoquait des “travaux pharaoniques”, je pense que mes estimations n’allaient pas au delà d’une ou deux centaines de mille étalées sur des années. Mon point de fixation, en somme, demeurait la somme de 110000 € qu’avait exigée Rubel en juin 2009, et dont j’aurais eu à casquer perso plus de 3000, en des temps où je pensais me battre des années pour ne pas obtenir de pension de retraite. Si j’avais des doutes et réticences, ils affectaient plutôt l’utilisation du pognon, comme en témoigne un mot du 10 octobre 2016, joint au règlement de mes charges :

« Cher Maître,

Quelques remarques en vrac, pour envelopper mon chèque du trimestre :

– J’ai trouvé un peu surprenant de découvrir dans une lettre reçue le dix octobre [1] que faute d’avoir contacté Bourbanys dans les onze jours, un éligible perdrait tout espoir de subvention. Les pauvres ont droit à des vacances, et, partant, à être prévenus dans des délais décents de tout ce qui est susceptible de remettre la “grande désocialisation” à plus tard.

– Il se trouve que, pour ma part, j’étais là, et que j’ai téléphoné dans l’heure même; mais que Bourbanys a prévu, pour confirmer notre éligibilité, des “visites” dont la finalité m’échappe (le mot “inspection” semble toutefois avoir irrité mon interlocutrice) le 27 octobre. Pour le coup, il y a trois mois que j’ai retenu du 19/10 au 3/11, un séjour qu’il m’est strictement impossible de déplacer [2]. Aucune solution de remplacement ne m’étant offerte à ce jour, trouvez-vous normal que je doive renoncer, du fait de l’éventuelle rigidité de la société chargée d’établir les dossiers, à des subventions qui en toute légalité me seraient dues?

– Ayant cru comprendre, lors de la dernière A.G., que la “mise aux normes de la sécurité incendie” passait, dans vos priorités, avant la réfection du monte-charge, je voudrais – en vous rappelant que nous jouons depuis plus de trente ans (on m’a raconté) à cache-cache avec les pompiers, que la tour ne s’en porte pas plus mal, que plusieurs appartements ont pris feu sans qu’elle ait brûlé, et que des portes palières ne changeront rien ou presque au seul péril d’incendie réel, à savoir celui qui résulterait d’un attentat contre les canalisations de gaz – présenter à votre réflexion le cas très courant de la maman qui aurait 17 ou 18 étages à grimper en tirant son landau, un de ces jours pas si rares où les deux ascenseurs sont HS en même temps : ne pensez-vous pas qu’outre les difficultés du trajet en pente, lui faire pousser 17 ou 18 portes palières soit susceptible d’occasionner incommensurablement plus d’accidents (dont, seul décisionnaire, vous seriez, en somme, responsable) que le statu-quo d’un danger minime? Il est inacceptable que cet immeuble n’ait pas de monte-charge en activité, et qu’un malade alité, un blessé grave, doivent être descendus par l’escalier. Que les pompiers nous refusent leur estampille un an ou deux de plus me paraît, en revanche, bénin.

– Lesdits pompiers, intervenant le 27/09 à 6h du matin pour une fuite d’eau, ont essayé d’user de mon accès à l’escalier d’incendie – et ont dû renoncer à pousser une porte que je n’avais pas ouverte depuis dix ans au moins, et qui était bloquée par des objets non identifiés déposés derrière elle. Comme il est à peine imaginable qu’il se trouve un voisin assez bête pour jeter là ses ordures au lieu de les descendre tout bonnement jusqu’aux bennes, je me demandais si ce palier supérieur de l’escalier d’incendie ne servirait pas de magasin à quelque négociant en substances prohibées… La chose, ce me semble, pourrait mériter vérification.

En vous priant, cher Maître, de bien vouloir agréer l’expression de ma considération distinguée, »

Je n’attendais pas de réponse, et fus étonné de recevoir celle que voici:

« Monsieur,

Je fais suite à votre correspondance du 13 courant.

Vous abordez plusieurs sujets :

– Le délai fixé par BOURBANYS, qui me lit en copie, n’a pour d’autre but [sic : un type de faute qui révèle que le texte a été relu et corrigé… à son détriment] que de responsabiliser les personnes intéressées à répondre rapidement afin que le dossier soit bouclé, à ma demande, dans les délais rapides.

Dès votre retour de congés, je vous remercie de contacter la société BOURBANYS qui prendra en compte votre demande, j’en suis convaincu.

- Concernant les travaux que je suis en train d’organiser, j’ai intégré dans le dossier de subvention la mise en service du monte-charges, la mise aux normes du réseau électrique, la mise aux normes des ascenseurs, le remplacement des colonnes qui approvisionnent l’immeuble en eau, l’individualisation des compteurs d’eau et la remise en peinture des parties communes de l’immeuble.

Les travaux ne se limitent donc pas qu’à [sic : on commence à se demander si ces redondances ne sont pas une caractéristique stylistique!] la stricte mise aux normes au titre de la sécurité incendie.

– Enfin, j’ai bien conscience que certains occupants dénués de tout sens de civisme n’hésitent pas à considérer les parties communes comme de véritables dépotoirs.

Personnellement, j’ai retiré des sacs poubelles à l’intérieur des placards situés sur le palier des parties communes.

J’ai demandé à la société chargée du nettoyage de les retirer.

J’ai aussi besoin de votre aide pour identifier les voisins qui ont de tels comportements afin que je puisse intervenir près d’eux.

Espérant avoir répondu à vos attentes,

Je vous prie de croire, Monsieur, l’expression de mes salutations [sic et resic] distinguées. »

N’y avait-il pas quelque excès à classer dès lors cet homme parmi les imbéciles? Mais ma réponse d’abord :

« Cher Maître,

Je vous remercie d’avoir pris la peine de m’écrire.

Quant à répondre à mes attentes, ou seulement à ma lettre, il était difficile d’y réussir… moins. L’âge aidant, apparemment, j’ai de plus en plus de mal à me faire comprendre, et ce qui aggrave mon cas, c’est que je persiste à me trouver très clair!

Passons sur la “raideur dilatoire” de Bourbanys, ou du moins de la personne chargée de ces dossiers, qui, à force de promettre des dates alternatives et de ne rappeler jamais, m’a, l’urbanité étant d’ailleurs sauve de part et d’autre, en fin de compte obligé à annuler ma réservation. J’ai donc reçu l’employé de cette société le 27 octobre, et il me reste à espérer de ne l’avoir pas fait pour rien.

Pour ma part, je crois savoir encore lire, Dieu merci, et cette énumération de travaux ne m’avait pas échappé. Cela étant, je suppose qu’ils seront effectués dans un certain ordre, sur un certain laps de temps. Or vous avez évoqué deux “priorités”, en fin de la dernière A.G. : l’électricité des parties communes, et la “mise aux normes de la sécurité incendie”. Nulle part je n’ai prétendu que cette dernière seule fût prévue! La remise en fonction du monte-charge me paraît, simplement, comme à de nombreux habitants de la tour (et j’oserais presque dire : tous, à partir du 4 ou 5ème étage), autrement urgente que des travaux qui sont repoussés depuis trente ans sans que nous ayons eu le moins du monde à en pâtir. Ces temps-ci, les ascenseurs sont continuellement en panne, et si vous habitiez ce bâtiment, vous trouveriez, comme moi, insensé de satisfaire aux exigences des pompiers avant de permettre aux gens âgés ou/et pesants de simplement rentrer chez eux.

J’essayais enfin d’attirer votre attention sur un dépôt de marchandises non identifiées (et pour cause) au dernier palier de l’escalier d’incendie, au 18ème étage, derrière ma porte ad hoc, dont l’ouverture était (et, je suppose, est toujours) de ce fait impossible. Les seuls voisins qui pourraient déposer là leurs ordures me paraissent au-dessus de tout soupçon, raison pour quoi je ne leur en ai même pas soufflé mot. Je m’interrogeais simplement sur la présence éventuelle d’une cache de drogue ou d’armes. De là à dénoncer des citoyens lambda pour “comportement incivil”, permettez-moi d’espérer qu’un large fossé va sans dire. Si j’avais des observations à faire à qui que ce soit, je m’adresserais directement à lui.

En vous priant, cher Maître, de bien vouloir agréer l’expression de ma considération distinguée, »

Ma conviction, c’est qu’en lisant une lettre fort claire et fort simple, ce con préformaté n’avait rien pigé à deux paragraphes sur trois. Dans son premier, il se contentait de tirer un voile sur un comportement inacceptable : je passais d’autant plus volontiers que j’imaginais des subs de quelques centaines d’euros, qui de surcroît ne seraient pas versées. Pour la deux, c’est plutôt chez moi que résidait l’erreur, au moins en ce que je persistais à supposer des ponctions successives et, disons, de l’ordre de grandeur que nous avions connu jusqu’alors : dans mon esprit, mettre la sécurité incendie en queue de file, c’était la renvoyer à la Saint Glinglin. Quant aux portes palières, je les situais au même endroit que Guilaine, qui s’esclaffait à cette idée, et me lançait comme à un retombé en enfance qu’il n’y en aurait jamais et ne pouvait y en avoir, que de toute façon c’était bien trop cher – un mois avant de me révéler, d’un ton tout aussi triomphal : « Ah, ça, c’est voté! » et de prétendre me prouver, par un incendie à Londres qui défraya alors la chronique, que cette mise aux normes était indispensable. Il est en fait clair que, situées où elles le seront, toujours ouvertes et ventousées au mur, les portes palières ne gêneront en rien la circulation des landaus et poussettes (dont je me fiche bien, comme le lecteur l’a deviné). Quant à Guilaine, sa spontanéité a cessé de me séduire depuis qu’en gagnant un peu de fric elle s’est si aisément convaincue que tous les démunis méritaient leur sort, et s’est mise à la colle avec un mec hautement désagréable, qu’elle a laissé fourrer sa fille en pension. Mais je ne pense pas qu’il ait eu à insister beaucoup pour lui faire changer en dépotoir privatif notre palier commun de l’escalier d’incendie; car c’est bien ce qu’avaient perpétré ces voisins que j’affectais de considérer “au dessus de tout soupçon”, et qui étaient plutôt au delà de tout scrupule : ils avaient tout bonnement posé là un plancher, et entassé le surplus de mobilier et autres saloperies (non périssables, tout de même) dont ils n’avaient pas un besoin immédiat, de préférence contre ma porte, pour se garer d’une curiosité indiscrète. Une raison de plus pour fuir le contact? Ce serait prêter à Guilaine une accessibilité à la honte dont elle est dépourvue : aussi immorale que moi, mais nullement inhibée, c’est un petit animal qui n’a souci de l’opinion des autres que pour tirer profit d’eux. Je n’en bave pas moins des ronds de chapeaux devant cette poupée blonde qui à cinquante ans sonnés en paraît trente, et surtout les photos de ses réalisations (elle s’est spécialisée dans l’architecture intérieure), sur son site Internet. Génie serait trop dire, talent peut-être aussi, mais un simple méticulosité ne suffirait tout de même pas. Je trouve sa réussite on ne peut plus justifiée, et je me félicite de ne l’avoir pas prise d’assaut, du temps que son impécuniosité me donnait une chance sur dix ou cent de jeter le grappin sur cette proie vive, intelligente, séduisante, que Dieu m’envoyait : être supplanté par Pat Hibulaire n’aurait pas fait de bien à mon autostima.

[1] Perdue. Je suppose d’après la suite qu’elle faisait au moins allusion à quelques-uns des travaux projetés, mais sans les chiffrer.

[2] Voir la suite! Il s’agissait de la retraite projetée à Ganagobie, avec halte plus ou moins longue chez Denis.

Les tripes de la “clâsse”

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