N’importe. Comme il n'est dans mes intentions ni de repiquer à la rando ni de me mettre à la voile, ni même de m’installer à la campagne, on peut au moins admettre que j'ai connu le pire en ce genre… à moins de rétention dans un ascenseur bloqué entre deux étages? Persistons à peu boire, prenons l’escalier à la prochaine, et n’y pensons plus : je me sens pris de peur de Lui donner des idées… et qu’Il n’en vienne à me susurrer, par la voie interne, que j'ai forgé mes propres supplices, comme ces filles qui m’avaient collé des cornes, prétendaient-elles, suite aux soupçons dont je les avais harcelées.

L’interne des urgences, sans doute pour se décharger de la responsabilité de mon retour, et éviter les cagades dans son ordonnance de sortie, ne m’en avait établi aucune, mais m’avait oralement assuré qu’une “visite de désondage” était planifiée : ignorance ou mensonge? Il me fallut la solliciter, et je trouvai étrangement accommodante la secrétaire qui accepta de me coller en surnombre à un interne-uro une semaine plus tard, puis me proposa de passer dès l’ouverture pour être désondé et boire de l’eau en attendant la visite : à l’ire qui saisit la vieille garce d’infirmière à huit heures du mat devant ce surcroît de travail d'une minute-chrono, je crus saisir que j’avais servi d’otage dans une guéguerre méd-admin’ intra-départementale. Après quoi, je ne fus invité à débarrasser le lino (où douze chaises vaquaient, et vaqueraient toute la matinée) qu’une fois, et tins ferme, mais… bus comme un trou, croyant accélérer le processus, et sortir plus rapidement d’un salon où il me semblait faire tache. Je ne me dédouane pas de la chose en la mettant sur le dos de cette virago, puisque ma dépendance n’en pèse que plus lourd sur le mien, mais il est hors de doute que c’est à ces quinze ou vingt godets avalés d’affilée que je dus de repartir avec une sonde toute neuve, et bien content encore, dans les heures qui suivirent, de voir s’emplir successivement six ou sept sacs de moins en moins roses, pour finir par deux ou trois limpides : cette fois, c’est bien à la mort de Tycho Brahé que j’avais échappé de justesse, et l’avant-goût haletant que j’en avais eu, pendant que la drôlesse affectait de préparer un espace, suffit à me persuader d’éclaircir un peu la question de l’ultime châtiment avant d’ôter de ce monde une carcasse dont, brékékèxent les religions en chœur, je ne serais que dépositaire. [1]

Bon Dieu! J’aurais fait une connerie pareille chez moi, avec la ville à traverser, même en tram, je serais mort, ou voudrais l’être; et le plus fort, c’est que, sans la refaire précisément, j’en retâtai les contours dès l’échographie qui suivit, n’osant dire à la bonne dame qui se disposait à la pratiquer que j’aurais préféré papoter après m’être vidé la vessie – laquelle, de fait, ne se vida pas : je ne sais s’il était dangereux de me retenir quand j’étais môme : dans le compte à rebours des 70, entouc, ça l’est devenu. Et je comprends un peu tard ce qu’a pu être, en d’autre temps, la géhenne de l’eau… pour les prostatiques, du moins, qui ne devaient pas être légion en ce temps-là. Mais revenons.

L’infirmière-chef avait ses têtes [2] mais ses subordonnées gardaient, faut croire, une notion des urgences comparées, car, au simple vu de mes performances en matière de débit, elles m’avaient collé sur le haut de la pile, et je fus reçu avec une heure d’avance par un rahat-loukoum rigolard auquel le diplôme devrait mettre quelques années à enseigner la grande arrogance. Il eut à peine le temps de griffonner un crobard et de me révéler 3 des “4 W” prostatiques des urologues américains (Winter, Women, Whisky & ??? Il avait oublié le dernier, et, pour ce que j’en vérifiai, il se pourrait qu’il les eût inventés, ce qui m’étonnerait de lui, et qu’il nia quand je le revis : une info, disons, paramédicale, qui échappe à Internet, voilà qui n’est pas commun) avant de me faire recoller une sonde pour deux semaines, “en doublant le ballonnet” : celle de la dernière chance, à laquelle il donnait, comme il me le confia lui-même quinze jours plus tard, 95% de “chances” de confirmer la nécessité d’un “geste chirurgical”.

Celle de porter une sonde à temps complet ne m’enchanterait pas, nul besoin de l’écrire. Mais ces trois semaines furent infiniment moins pénibles que les trois premiers jours de la première fois : dès lors qu’on a pigé le coup de pisser sans y penser, sans contracter le muscle, qu’on s’est fait à ne pas se vider intégralement… Étrange, à quelle vitesse on s’émancipe de la discipline du sphincter, et même comme on trouve parfois bien pratique de porter ses pissotières accrochées au mollet.

À force de téléphoner à tous, puis à toutes, j’avais fini par trouver une infirmière pour le désondage préalable : hélas, c’est la partenaire de cette sainte qui dut s’y coller, et se leva à cet effet vingt minutes trop tôt, « pour gagner sept euros », me fit-elle savoir assez hargneusement. Cette fois, je pense avoir pigé le truc, et, ayant en outre récupéré la seringue à la poubelle, être en mesure de procéder moi-même à l’opération. L’auto-sondage, lui, pourrait s’avérer plus ardu, vu les fausses routes possibles, mais après tout, les urgences sont toujours là : j’ai trop médit d’un des derniers lieux où le devoir de soigner ne se moule pas sur le gain.

En uro, arrivant tard, et pas bousculé pour un sol, la mégère en chef étant absente, je fis assez proprement ma petite affaire, et n’eus plus qu’à attendre que l’interne de service daignât me recevoir. Le même, toujours jovial, sympa et insipide, mais à demi matamorphosé par la présence de trois étudiantes, dont une jolie, devant lesquelles il songeait plus à étaler sa science et son esprit qu’à mon cas. Le département urologie du CHU de M*** passe pour proche du sans faute, et je n’ai pas peur d’une lame dans ma bite, de la douleur du moins qu’elle peut occasionner, au point de refuser une opération nécessaire, surtout quand elle affiche un gros pourcentage de réussite; de plus, si bizarre que ça puisse paraître de ma part, je fais confiance, sous bénef d’inventaire,aux chirurgiens comme aux pilotes d’avion, et à tous les spécialistes que je ne saurais remplacer. Mais, outre que le temps perdu m’obsède – ce temps que je perdrais pourtant moins en discussions, si brèves qu’elles fussent, avec des gens quotidiennement confrontés au réel, qu’à lire mon quinze millième frileur décérébré –, je n’ai nulle envie de passer sur le billard pour la simple raison que ça se fait, ou que je n’aurai pas su résister à un boniment. Mé***, l’ex-“Néandertalien” (et je soupçonne qu’on l’a viré pour franc-parler), m’avait dit, deux ans auparavant : « Nous ne sommes là que pour aider, pas pour forcer les gens. » Cet interne en revanche, quoique des plus aimables, m’avait fait l’effet d’un maquignon s’évertuant à placer une rosse; mais quinze jours plus tard, il ne semblait songer qu’à donner en spectacle un patient effarouché par une opération de routine, et à en faire rigoler ses minettes, petit jeu où il fut battu à deux reprises, et s’aigrit de le sentir. Que ce mec ne sût pas se servir de son ordinateur, ni de son smartphone, très moyennement smart, ce n’est pas moi qui lui en aurais jeté la pierre; mais quand ça se traduisit par : « ce labo n’existe pas, du moins sur Internet », je bus du petit lait que la mignonne lui tendît son propre engin, avec juste un coin d’écran à toucher pour obtenir mes résultats, qu’il avait reçus directement, mais ne savait pas retrouver; et il m’a déplu qu’il s’en vengeât stupidement en signalant dans la lettre qu’il dictait pour Bâfre que j’avais “oublié” le papelard : coisas pequenas, j’en convenais dès lors, n’en guettant pas moins l’occase; et,comme il cherchait une diafoirusserie pour insinuer ma pétoche d’une intervention sans que je comprisse, lui glissant : « les boules » pendant que ça enregistrait : les petites poufs pouffèrent, et après tout, que me reste-t-il d’autre en ce monde, comme satisfaction sexuelle?

[1] Bien entendu, ladite persuasion ne dura pas une semaine, pour la simple raison qu’il n’y a rien à étudier, que des contes sans preuve. La rétribution post mortem est une invention destinée à nous faire marcher droit, à permettre aux riches de jouir de leurs vols sans trop dilapider en salaires de sécurité, et à procurer une vie agréable aux prêtres de tous bords, il n’y a pas à sortir de ce cercle – même si la peur et la culpabilité l’ignorent.

[2] et ce n’est pas ce que je lui reproche, vu que réciproquement je ne l’eusse point admise en mon harem. Mais je me serais tenu très coupable, du temps de ma vie salariée, de noter à la tête… et combien davantage, de soigner à la tête – tentation permanente, probablement, pour le personnel soignant : je sens bien moi-même à quel point le cas d’une petite ange de deux à dix ans me paraîtrait plus urgent que celui d’un vieux ventru agonisant.

Deuxième et troisième séance d'urologie

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