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Inventaire avant liquidation
26 janvier 2019

Maître Marron : l'état de Grâce

     Maître Marron, nommé administrateur provisoire par le président du tribunal d’instance, avait de par la loi, me semble-t-il, tout pouvoir, bien que sa mission officielle ne consistât qu’à recouvrer les créances, et ne fût pas censée s’étendre sur une aussi longue durée. Quatre ou cinq ans après son arrivée, les chiffres n’ont pas bougé – ce qui est, en un sens, une bonne chose, car il semblerait, voir ultra, qu’on fasse des chichis aux copropriétés endettées qui prétendent contracter des emprunts collectifs par la bouche de leur représentant (ou dictateur). Toujours est que lors de l’A.G., celle d’octobre 15, la seule sûre avant la décisive, sans produire la balance normalement annuelle des comptes (ce qui laissait comprendre que ses efforts n’avaient pas abouti), il annonça, mais de façon très vague, qu’en dépit de son piètre présent, il avait confiance en l’avenir de la tour, et que, n’ayant pas lui-même les capacités techniques requises, il comptait confier l’état des lieux à une société, une enquête sociale à une autre, indépendantes de lui toutes deux, et voir, sur ces bases, quels travaux il convenait d’entreprendre pour réhabiliter l’immeuble… Ce qui lui paraissait de première urgence, en l’état, c’était de refaire l’électricité des parties communes, puis de “mettre aux normes la sécurité incendie”.

     Tout de bon, comment me douter de ce qui nous attendait? Ce type avait au moins le rare mérite de répondre à ce que vous disiez, et quelques-unes de mes blagues avaient semblé l’égayer : le meilleur moyen de me plaire, est-il besoin de le préciser? Mais il ne m’avait pas fasciné, il s’en faut bien, ni ne m’aurait plu du tout, car j’aurais commencé par peu ou point blaguer, si l’année écoulée n’avait été à très peu près la plus tolérable depuis mon installation : pas de bandes de morveux agressifs dans mes couloirs, l’entrée, les escaliers; ni d’incendie de voitures ou de poubelles; peu de pannes de surpresseur, ou de deux ascenseurs à la fois; au surplus, miracle sans précédent, nous n’eûmes pas à subir, lors de l’A.G., d’interminables doléances féminines sur les insuffisances de l’équipe de nettoyage… Avec du recul, et au vu de la suite du film, je pense que la chance lui a souri. Mais il a probablement mouillé sa chemise pendant un ou deux ans, je pense l’avoir vu, au judas, expulser en personne deux poivrots de mon palier, et il faut admettre que cet hypothétique escroc n’avait pas mis longtemps à me paraître, en dépit de mes préventions, de beaucoup le meilleur gestionnaire que nous eussions connu, ce qui n’est pas beaucoup dire, certes, mais, bien qu’un immeuble de 72 logements soit à vue de nez assez juteux, ils ne sont pas des palanquées de syndics à nous trouver désirables, et c’est de fonds de paniers, voleurs et/ou incapables, que nous avons pour l’ordinaire écopé. Cauchon s’assurait au rabais les services d’une comptable à peu près nulle, laquelle, en dépit de mes cris d’orfraie, m’avait carotté un trimestre de charges : jetant ou égarant à mesure une bonne moitié de la doc indispensable à un contentieux, voire à une simple vérification, j’avais de guerre lasse fini par casquer ce que les services marroniques me restituèrent, en reprenant les comptes depuis Mathusalem – à moins qu’ils n’aient fait, eux aussi, n’importe quoi, toujours est que ce n’importe quoi-là m’agréait fort. Avait été écartée, d’autre part, la menace d’une antenne de relais qui aurait rapporté, une fois versés, 1200 balles par tête de pipe à tous les ménages de la tour, sans occasionner la moindre incommodité à 17 sur 18 d’entre eux, mais qui, plantée juste au dessus de ma tête, aurait risqué, attendu le zef qui souffle sur mon perchoir, de perturber mes travaux et mon sommeil, plus par ses grincements que par ses ondes : une menace toujours renaissante depuis les Bacha, que j’avais aisément repoussée moi-même en des temps où la loi exigeait l’unanimité, mais qui ne va pas manquer de ressurgir sous peu… Je retrouve une lettre à mes voisins de palier, du 20 novembre 15, qui atteste que je n’étais pas un marroniste inconditionnel : 

               « Chers voisins,

     Vous risquez encore d’estimer qu’Alzy progresse, mais je persiste à penser que la menace de l’antenne n’est pas écartée, et que si nous ne prenons pas de précautions de très loin, une surprise désagréable nous pend au nez à la prochaine A.G. Raison pour quoi j’aimerais bien qu’on se rencontre (géographiquement parlant, ce n’est tout de même pas le treizième travail d’Hercule) ne serait-ce qu’un petit quart d’heure pour accorder nos violons (ou nos canons) avant qu’il ne soit trop tard. En attendant, et entre autres, j’ai touché deux mots du risque à Régis Bâfre, qui semble tout à fait contre, et qui ne répugnerait pas, je crois, à rédiger quelques lignes, ne serait-ce que pour dire que lui-même ne consentirait jamais à habiter perso sous un machin pareil, et surtout à y faire habiter des enfants. C’est un médecin respecté dans le quartier, qui a de nombreux patients dans la Tour, et dont l’opinion peut peser lourd, surtout s’il fait signer sa lettre à quelques collègues. Je peux me charger de le lui demander; mais je n’ai pas besoin de vous dire que Guilaine [1] aurait cent ou mille fois plus de chances de faire aboutir une telle requête. Il n’y a rien d’urgent, et vous serez mieux à même de juger du jour que moi, qui ne saurai plus rien, dès qu’Irène aura pris son vol. Mais je vous conjure de ne pas prendre à la légère l’avarice des bailleurs (majoritaires!) à qui on propose 90000 balles d’un coup (voire davantage, peut-être), et surtout les intérêts de votre cher avocat, qui se donne des airs de rénovateur de l’immeuble, mais en matière de rentrée de fonds a connu jusqu’à présent un échec complet : pour lui, cette baguette magique, balayant d’un coup le déficit, serait providentielle.

     Merci encore pour cette histoire de porte ouverte, au fond pas si inexplicable : j’étais rentré avec une cargaison de bouquins, j’ai voulu les examiner tout de suite, oublié de fermer à clef, et un courant d’air a dû faire le reste! » Il s’agissait des deux caisses d’Illustration théâtrale qu’Irène, s’installant en volume plus restreint, et obligée de se réduire à l’indispensable, m’avait bradées pour vingt euros, Gibert n’en ayant pas voulu. Ma porte d’entrée s’était carrément rouverte, l’était restée toute une nuit, et j’avais été surpris d’entendre Guilaine, qui était pourtant tout sauf compassionnelle, trémoler mon nom à plusieurs reprises dans l’antichambre, dans le fol espoir, peut-être, de jouer son petit rôle dans un futur Faites entrer l’accusé! 

     Quant à moi, avais-je vraiment parlé de cette affaire à Bâfre? En passant, tout au plus. Il n’aurait probablement rien signé. Reste que ces deux êtres, ma voisine et l’inexplicable élu de son cœur (Pat Hibulaire entre je et moi) qui la remplaçait souvent au CS, ont réussi à écarter le péril dont je crains le retour, à présent qu’ils se sont installés dans une banlieue urf, et que j’ai, via l’enquête sociale, dûment indiqué au père Marron comment se venger de mes mercuriales et soupçons.

     Bon, bon, d’accord, ça vaut mieux que d’être sourd, et du reste je me suis aisément habitué aux tempêtes et aux acouphènes, qui ne le font pas exprès, la différence de taille est là, et si je tue ce type… mais étouffons dans l’œuf ce come back des rodomontades, et revenons à ce présent de 2015, où j’aurais plutôt embrassé le pas-encore-ennemi.

     Désirais-je que ce nouveau père me distinguât de la masse? Il ne faut pas éviter cette irritante question, qui trouble la pureté de bien des micro-conflits antérieurs, avec les chefs d’établissements notamment. Mais il est bien difficile d’y répondre. Le sieur Giraud, qu’on reverra en action, m’avait demandé, peu avant l’A.G., si je ne désirais pas revenir au conseil syndical, et j’avais refusé, de bonne foi, il me semble, alléguant que s’y mettre à dix pour ne pas réussir à planter un clou offusquait mon fruste impératif de productivité, d’une part, et, de l’autre, que le CS semblait très bien marcher sans moi, alors que, quand j’en étais, il marchait mal. Je n’avais nulle envie de “travailler” sous la houlette d’un type seul habilité à prendre les décisions, avec une escouade de couillons persuadés d’être très malins, mais si je m’étais gaffé qu’on passerait ensuite trois ans sans A.G., donc sans aucun moyen non seulement d’agir, mais même, pour moi, d’apprendre quoi que ce soit, il est clair que je me serais de nouveau enrôlé – sans changer grand-chose à la suite? Pas tout à fait certain.

  

[1] C’est la graphie dont elle use elle-même.

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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