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Inventaire avant liquidation
30 octobre 2018

L'enfance de Mimi

     En tout état de cause, il est bien clair que tout n’a pas commencé le ** juin 1950… mais que les incursions dans un passé plus lointain manquent (largement par ma faute, à moi qui n’ai su ni faire les fouilles ni poser les questions) de garanties testimoniales ou documentaires.

     Unique enfant d’une très courte union, ma mère n’a pas connu son père, décédé deux mois avant qu’elle ne vînt au monde, et dont elle ne renonce pas à faire la connaissance au paradis, bien qu’elle ait plutôt opté, depuis dix ou vingt ans, pour la métempsycose. Peu curieux des détails, j’avais, avec l’aide de Sido, ma grand-mère paternelle, qui se débondait sans vergogne auprès d’un petit-fils aussi malveillant qu’elle, mis au point un scénario à la Maupassant, en bouchant de salissure, comme à l’accoutumée, les trous de l’info : servante de ferme engrossée par le fils des patrons, et dont on se serait débarrassé au prix d’un simple déni, presque un siècle avant l’A.D.N., Marguerite n’avait dû la restauration (purement formelle) de son honneur qu’à la phtisie galopante de l’engrosseur, lequel, avant d’en crever, avait voulu, à tout hasard et n’y perdant rien, se réconcilier in extremis avec le Ciel par un conjungo. Ma sœur, qui habite sur les lieux et écoute les gens avant d’affabuler (et même sans, je suppose), soutient que cette version est controuvée, qu’il n’y avait pas une telle distance sociale entre nos arrière-grands-parents maternels, aussi minables les uns que les autres, et que la mort, loin d’être attendue, survint par surprise et congestion pulmonaire [1] après les noces, brisant net une idylle et des rêves d’établissement : selon elle, l’enfant aurait été mise en route pour saper la résistance du père, non d’Émile, mais de Marguerite, lequel, après ce trépas prématuré, aurait consenti à sa fille pardon grincheux, vivre et couvert, mais, pendant quelques mois ou années, aurait feint, le vieux salaud, d’ignorer la moutarde née sous son toit, ma mère, dont il désapprouvait l’existence : tant qu’à faire, comme fêlure initiale, ça l’emporte sur mon caca-roman! Faire comme si elle n’existait pas! Voilà qui vous dresse une fille pour la vie, une racine de culpabilité/négligeabilité qui vaut tous les fruits du péché, toutes les fautes incarnées, et d’ailleurs ne les exclut pas. La pauvrette a mythifié au mieux son enfance, mais on remarque tout de même qu’au regard de la canonisation de sa grand-mère, sa mère n’est l’objet que du tiède satisfecit « elle a fait ce qu’elle a pu », qui laisse supposer peu de câlins, peu de joujoux, peu d’aimance, une certaine sévérité à prétexte éducatif, et sans doute les exigences liées au dévouement, quand on renonce au déduit à vingt-cinq ans pour ne pas imposer de parâtre à sa gamine. Il n’est plus revêches despotes que ceux qui vous servent leurs tripes, à la façon du pélican, et s’ils sont épaulés par la religion, sauve qui peut! Cette mémé Gui, que j’ai à peine connue, avait placé son malheur dans l’entreprise Dieu, Qui lui a fait la facétie de la rappeler à Lui à cinquante berges, quand la vie commençait à lui sourire, avec une baraque à elle, un gentil jardinet, et trois petits-enfants dont, quelques photos et la tradition familiale l’attestent, elle adorait s’occuper : elle fut pulvérisée avec sa bicyclette, à un passage à niveau, par un rapide qu’elle avait dû confondre avec le tortillard local, un virage empêchant toute visibilité : suicide exclu, dixit sœurette, qui se tape ledit virage deux fois par jour ouvrable.

      Niée, tyrannisée, avirmouchée [2] d’importance peut-être, ma mère n’a pas joui d’une enfance aux petits légumes, et je présume que la carence de père a fourni un thème majeur de culpabilité : pourquoi est-il parti? Est-ce ma faute? En quoi? Non, c’est vous les méchants… Même en mes pires années de bêtise, je n’imagine pas d’avoir pu persécuter un condisciple parce qu’il n’avait “pas de papa”, mais de ma mère à moi les mœurs ont bien plus changé que de Maupassant à ma mère, et le Papa de Simon, en me tirant ma larmichette, me guide vers cette gosse harcelée par les « Mon père a fait ci, mon père a dit ça » des copines, et qui compense de son mieux en s’inventant des activités, sans trop parvenir à se faire croire, attendu 1) sa  pauvreté; 2) que ça se saurait.

     Toute primipare, dit-on, accouche de son père – et d’un fantôme quand elle ne l’a pas connu? Il serait simplet de prétendre rendre compte de la sorte de mon inexistence, de mon incapacité à jouir et à croire. Pas fixé? D’abord, il n’est pas établi que le commun des mortels le soit davantage, et que je ne me distingue pas plutôt par une exigence d’authenticité, la volonté de trier ce qui m’est propre du bourrage de crâne et de la dictée de l’envie. De toute façon, rien à faire : je n’arrive pas à me penser comme une incarnation d’absence, je ne pourrais que faire semblant. En revanche, que j’aie été attendu comme une revanche, et que l’arrivée d’un mutilé au bout des pinces ait valu à maman en son for confirmation d’indignité, quoi de plus naturel? Pour elle, j’avais le visage de l’échec, accidentel en apparence, obscurément redouté, attendu, revalidant une condamnation prononcée avant toute épreuve : d’un échec que sa garce de belle-doche n’a pas craint, par derrière et en sourdine, d’imputer à la rage de l’esbroufe et de la dissipation, arguant qu’une sage-femme à prix doux ne m’aurait pas esquinté comme un obstétricien urf [3]; mais, même un peu plus plausible, une faute cernable ne vous mine pas comme une fatalité qu’on lie à l’insuffisance énigmatique de tout son être, ainsi que maman était portée à le faire, minorée qu’elle était de naissance, rabrouée par sa mère jusqu’en ses petits noms de tendresse (« mon pauv’ laideron »), repoussée par ses beaux-parents, qui avaient demandé, et obtenu (de qui??), des “renseignements” exécrables : santé, honorabilité, éducation, biens au soleil, tout manquait : une goton avait mis le grappin sur leur fils. Ils eurent avec lui des scènes dignes de l’antique (« Je veux une fauchée comme moi! »), ne se décidèrent qu’au tout dernier moment à assister au mariage (et pas pour l’égayer, comme on peut croire : Sido prétendait que sa chevelure avait blanchi d’un coup, or elle n’était pas femme à souffrir sans en informer les masses) et leur hostilité ne désarma jamais : peut-être constitua-t-elle, du reste, le plus efficace ciment conjugal, mon père aurait préféré n’importe quel enfer à reconnaître que ses parents avaient eu raison, ou apparence d’icelle. Toujours est que si ma mère s’est sentie réhabilitée à l’époque où elle fut courtisée, ce temps d’euphorie ne dura guère, qu’elle garda trente ans ce vautour sur l’épaule, et qu’il graillait déjà quand survint l’épreuve.

 

[1] Tuberculose galopante ou pneumonie? Comme Scarron, il était tombé, paraît-il, dans un ruisseau glacé… pris de vin, comme n’hésitait pas à l’insinuer cette peau de vache de Sido – ou, selon maman (et l’un m’empêche pas l’autre), pour épater la galerie en prenant, avant le pont, le raccourci d’une branche basse qui aurait ployé : ce papy Émile, mort d’histrionisme 27 ou 28 ans avant ma naissance, m’aurait-il légué autre chose que mon second et abhorré prénom?

 

[2] Avir(e)mouche signifie gifle (de la paume ou du revers) en divers patois du Poitou et de la Saintonge, plus écrivaillonne, ou plus favorisée par Google : heureux pour une fois que ce sire me donne la confirmation qui manquait à “niques de viroune” (prétextes pour délaisser sa tâche, aller se promener). Curieux que le dialecte de ma mère m’ait laissé quelques mots, pas tous de reproche ou de menace, et celui de mon père aucun. Parce qu’il le parlait à part entière ou pas du tout? La chasse aux causes nous mènerait loin, alors que la simple différence entre langue d’oui et langue d’oc suffit à rendre compte du phénomène.

 

[3] Ce n’est peut-être pas si stupide. Un pro dont je citerai plus loin le bouquin fulmine contre la banalisation de la césarienne et du forceps (qu’il accuse d’un nombre considérable de blessures imputées “officiellement” à d’autres facteurs), et conclut : « Tout ce que nous avons appris au cours de ces dix dernières années nous montre que même si nous l’avions voulu, nous n’aurions pas pu inventer une façon de naître pire que celle-ci. Or la grande majorité des enfants du monde occidental continuent à venir au monde dans un environnement peut-être parfait pour un ordinateur, mais foncièrement inadapté à la naissance d’un être humain. »

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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