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Inventaire avant liquidation
29 décembre 2018

Une vie passée à boucher des trous

Clic, copier. Clic, coller. La longue ligne d’hier devient celle d’aujourd’hui, au prix de quelques modifs, qui rament un peu, ce Mac dont je dis tant de bien étant néanmoins, pour les besognes que je lui demande, plus poussif que le précédent, et cette tranche du déconno ayant largement entamé sa troisième année. Sur l’énoncé : « À quoi ça sert, tout ça? » je n'ai pas progressé d'un iota depuis 2012, et autant m’en taire. Pour l’essentiel, je crois que cet ersatz de percipi, avec mutation du néant en, tout de même, fantôme de quelque chose, procède d’un narcissisme très archaïque : ou je me regarde carrément dans ma flaque, ou on a là une sorte de version numérisée du spectacle en direct que depuis la nuit des temps, et avant même que je susse ce qu’était un film, était censée constituer ma vie, à quoi assistaient Dieu et les Anges – ce qui peut expliquer, à la rigueur, que je n’en caviarde rien, mais pas du tout l’absence d’effort pour changer de facto ce qui risque de déplaire au Spectateur. Non que la semaine ait si mal commencé : 7,7 en caracs (cette sinueuse lecture du bouquin de Dard) 2,8 en créa-temps… Bon prétexte, dirait-on, pour que la guimbarde ait débouclé assez tôt, et que l’intention d’en finir avec le cinéma se soit cassé le pif sur Sept ans au Tibet , un peu trop chromo pour gogos, je doute que la théocratie ait été une telle merveille pour les misérables, et qu’on ait mieux appliqué la morale bouddhiste sur le toit du monde que la chrétienne en occident, mais les images de Lhassa et de la montagne sont magnifiques – “ce qui atteste, entre nous, que les méchants Chinois n’ont pas tout cassé”, allais-je écrire, mais voici que j’apprends m’être fait bluffer par un Potala de carton-pâte qu’Annaud avait fait bâtir dans la Cordillière des Andes! M’arrêter là? J’aurais dû. Mais, après nombre d’investigations tibétaines frénétiques, j’ai fini par me rabattre sur Essex boys, un film de gangsters point trop exécrable. Total : 2,7, c’est-à-dire presque six heures de cinoche, après quoi que donc faire, sinon me peser (51,3), sustenter, et coucher, avec un Ambler médiocrement prenant? (Mais ceux de jeunesse ou de maturité, je les connais tous.) Au total, j’ai perdu un demi-point hier, et je m’en fous complètement : alors, à quoi bon? À passer le temps qui me reste, sans remettre sur le tapis la vie qui pourrait suivre sora nostra morte corporale? Ce sont des questions que je devrais me poser sans témoin, pour essayer au moins d’en extraire la tentation de la frime. Jusque vers 2015, la journée de travail commençait souvent par une entrée de journal intime, qui profitait au moins d’un petit reste des enseignements de la nuit. À présent, est-ce parce qu’il ne se passe plus rien, ou que l’anecdotiquotidien se taille un créneau dans l’Inventaire, ou pour me protéger de ce que je sais “quelque part”, et dis un peu trop souvent en clair, mais sans pleinement y croire? En tout cas, mon journal n’a cessé de rétrécir, et c’est à présent le bétonnage sécurisant des corrections qui nous sert de prélude, en deux temps : IAL, version “posthume”, puis version “blog” : l’une ne se distinguant de l’autre, en principe, que par quelques ablations de vacheries et modifications de noms propres; mais, étrangement, plus on s’approche d’une “publication” qui, à présent que Gog et Magog m’ont fourré en liste noire [1], ne touche plus que cinq ou six pelés maximum, plus je trouve à rectifier, dans un texte tapé il y a un mois et demi : écart qui ne cesse de se réduire, attendu que j’écris beaucoup plus lentement que je ne publie. Clic-clic : à peine le fichier a-t-il apparu que ma main gauche, par un imbécile réflexe, lié non au besoin de fumer, mais au loisir que va autoriser la frappe clairsemée qui accompagnera cette relecture, se tend vers ma clopélec… la section de bambou, du moins, où elle devrait se trouver, et où j’ai négligé de la transférer : ça pourrait être pire, puisqu’il suffit d’un coup d’œil pour vérifier qu’elle se dresse toujours dans l’autre, collée près de mon pieu. Mais la simple notion d’oubli… Mon bain de bouche! Voyons, goûtons… L’ai-je sur les papilles, cette déplaisante saveur du menthol? À l’évidence elles n'en gardent pas le souvenir… Et salle de bains derechef! Il ne s’agit pas de faire un drame d’une pareille bagatelle, mais il paraît tout de même assez surprenant que, commençant mes journées depuis des ans par la même sempiternelle série de gestes, je trouve toujours le moyen d’en oublier un ou deux, si ce n’est trois. Il en va d’ailleurs de même des obligations du soir, comme on verra, si l’on en trouve la patience, et si je trouve moi-même celle de finir cette journée dès à présent fictive, au rythme d’écriture que j’ai adopté, ou qui s’impose à moi. Il est vrai que je tolère volontiers ces oublis-là, pour la raison passablement puérile que chacun d’eux donne un peu d’exercice à une vie qui en est par ailleurs presque privée : l’occasion de se remuer un peu et de brûler une calorie ou deux ne se refuse pas. Il n’en demeure pas moins que nulle part je n’ai créché plus longtemps que dans ce perchoir, tous mes records sont battus, et imbattablement désormais, la tombe exceptée : si l’on peut se sentir chez soi quelque part, pour mézigue, où serait-ce donc d’autre? J’ai bien eu le temps, je crois, de plier ce pré-caveau à mes besoins et manies? Eh bien, je ne cesse de me voir dans une autre demeure, où mes bouquins seraient rangés de manière à être retrouvés, où un ustensile aurait une place et rien qu’une, alors que je m’obstine à poser n’importe quoi n’importe où (notamment dans le mince espace qui sépare une rangée de livres de la planche d’au-dessus : pas la botte de foin, mais je vous cause là de 300 mètres de rayonnages : un coutelas ou une loupe peuvent s’y planquer jusqu’à ma mort), et qu’une séance de bricolage consiste, aux trois quarts ou neuf dixièmes, à chercher pince, marteau et tournevis. Ce ne sont pas tant les failles que j’incrimine, élément incontournable de la condition humaine, que le rêve invincible de cet ailleurs où tout irait sicut gladius in vagina. J’ai fait tout ce que j’ai voulu de possible, dans ces 80 m2; ça n’empêche pas ailleurs, hectare ou tatami, de persister à me paraître nécessairement mieux agencé, et demain le jour béni où je ne perdrai pas “tout” mon temps. Sur ce, perdons-en encore un peu, après l'ablution mentholée de nos dents pourries, en tirant notre première taffe, et surtout en exhalant la vapote, car le paradoxe de cette “addiction” dérisoire, qui a si parfaitement balayé quarante ans de tabac qu’en trois de plus je n’ai pas fumé dix pipes, c’est qu’à l’aspiration, disons même à l’aveuglette, non seulement la différenciation des goûts devient très approximative, mais je suis absolument incapable de dire si le clearomiseur marche, et si la batterie est chargée! Ce qui ne m’empêche pas d’avoir entamé une fumaison du palais qui rappelle, quelques degrés plus bas tout de même, mon ex-“précancer” tabagique. Quand je me vois mâchant toute la journée mon succédané de néné, vapotant comme une cocotte, remplissant chaque plagette qui s’offre avec quelques pages de lecture ou quelques lignes d’écriture, il est irrésistible de penser que toute mon existence n’a été consacrée qu’à boucher des trous, en commençant par celui de ma bouche, avec absolument n’importe quoi, et un n’importe quoi qui, à l’image du goût de fraise ou de litchi de ma clope, ne prend nom et sens que de l’idée préconçue que je m’en fais. Est-ce la clope, c’est-à-dire la simple vue de la vape qu’éjectent mes naseaux sans qu’elle ait opéré l’amorce d’un crochet par les poumons, qui fait le fond de volupté des relectures et des corrections, plutôt paradoxal quand, toutes les nuits ou presque, on se tâte pour supprimer tous ses blogs, ou le seul actif, ou le chapitre en cours, qui, à la crainte incessante d’écrire des conneries, joint le malaise qu’elles prennent pour cible leurs lecteurs potentiels?

 

[1] Je me demande s’ils ne m’en ont pas retiré depuis. Non pas, il s’en faut bien, que ce soit l’affluence. Mais les “newsletter” ont disparu d’un seul coup, et le pourcentage de Glouglou est remonté de 11 à 57%. De moult choses deux : ou ces stats, qui me font office de pacemaker, sont de la drepou aux yeux extra-pure, ou je suis surveillé de très près par Langley, Maussade et affidés. Je ramène une dernière fois ma Seconde surprise de la Parano : on ne s’occupe pas que de vous, certes, mais on s’occupe aussi de vous, et assez pour que parfois ça paraisse trop.

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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