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Inventaire avant liquidation
19 novembre 2018

Complexes d'infériorité antagonistes? La psychose rétrécit

     Ce n’est pas mon sujet de déterminer ce qu’il est vraiment, et qui m’échappera toujours; mais je renâcle à le réduire à une fonction, et d’autant plus qu’elle n’est pas si facile, elle non plus, à préciser. J’avais très tôt théorisé qu’en me ravissant l’amour maternel, et en manifestant des dons précoces de compréhension et d’adaptation qui comblaient un écart de dix-neuf mois, il était à l’origine de ma dissidence, du mépris que j’avais voué à maman (dont papa indiquait assez la voie), du repli dans l’omnipotence fantasmatique et la recherche éperdue, mais brouillonne, de moyens de primer en sortant des voies tracées. Mais enfin, répétons-le, ce prétendu parangon de grégarisme n’est ni aussi mainstream ni aussi autosatisfait que je veux bien me le peindre, et il est pour le moins probable qu’il a subi, comme tous ses siblings, l’ascendant d’unemorale de la révolte. Quand j’en venais aux mains autrefois, à portée d’ouïe de l’autorité, il avait coutume de crier : « Arrête! Arrête! » à pleins poumons, pour provoquer une intervention policière sans avoir l’air de la solliciter, ce qui marque une certaine déférence aux valeurs truandes, un désaveu formel de la dénonciation; et si je me souviens, moi, des fessées que je subissais (avec force contorsions faciales pour faire tomber mon œil, non afin d’interrompre le châtiment, qui ne m’a jamais empêché de m’asseoir, mais pour jouir après coups de la culpabilité paternelle, en cherchant et ramassant la prothèse avec une “discrétion” tonitruante dont il ne fallait pourtant pas abuser, l’homme ayant pour ces ruses un flair d’enfant sauvage), Michel a gardé mémoire, lui, de l’impalpable dédain que lui valait, de la part de la même autorité, d’avoir eu recours à elle. Quand je scrute l’étendue de ce qu’il possède, compétence pro, émoluments conséquents, connaissances diverses et variées, vie normale avec enfants modèles (mais “du côté de leur maman”, ai-je cru comprendre, voire de l’ultime concubin d’icelle, morte d’un cancer), quand je me réjouis in petto que sa femme, sotte, rogue et moche, l’ait néanmoins quitté, […], ce n’est pas que je jalouse tous ces biens, qui sont à mes yeux comme rien, au regard d’une belle page : c’est que la belle page n’est nullement mon apanage, et que je redoute qu’il n’en ait dans sa giberne, en sus du reste, de bien meilleures que toutes celles que j’ai pondues, s’il se donnait seulement la peine de les écrire. Or rien ne m’assure qu’il n’ait pas essayé, et de son côté ne se sente pas en position d’infériorité face à la trajectoire d’un gus qui semble avoir tout sacrifié à cette chimère, et opiniâtrer ses ambitions de jeunesse jusqu’au seuil du tombeau. Il n’est pas impossible qu’à ces facilités qu’il arborait à mes yeux en toutes disciplines, de l’exploration du savoir d’autrui à la chasse aux nanas (oh, ces vendanges mémorables en Alsace, où il les avait toutes à ses pieds, où elles ne se fiaient qu’à lui, et oùma parole comptait pour du beurre quand j’avais raison pièces en main! C’était un délire de sale gueule, ça, ptêt?) répondissent des inhibitions aussi costaudes que les miennes dans le domaine de la découverte et de la créativité. Comme c’est un des rares types au monde – mais j’en connais si peu – dont l’esprit, les trouvailles spontanées, m’ont souvent épaté, je me dis qu’il ne tient qu’à lui de me surpasser là aussi aisément qu’ailleurs, mais le fait, précisément, qu’il n’ose pas s’y frotter, du moins que je sache, ne pourrait-il pas témoigner d’un blocage pire encore que le mien, puisqu’après tout j’ai osé produire et montrer quelques petites choses? Mon frère se présente volontiers en gros commeminable et inutile, ce qui jure avec une rage de nier la moindre erreur qu’on lui signale : dans un cas comme dans l’autre, on fait mieux, comme modèle de réplétion quiète : serait-il impensable que mon estime lui fût moins indifférente qu’il ne l’affiche, et, qui sait, que sa réciproque? Il fut le premier lecteur de mes premiers livres, après quoi je ne lui ai plus montré que les Buû, parce que “publiés” :va savoir dans quelle mesure la peur de mon jugement ne l’a pas dissuadé, lui, de faire gémir les presses! Ou bien celle de faire mieux, et de déboulonner une référence?? Non, ça, tout de même, compliquerait trop la question. Le raisonnable, ce serait qu’il m’abandonnât le terrain littéraire, qui n’existe plus pour les neuf dixièmes de la population au bas mot, comme je lui laisse tous les autres. Mais pas d’histoires : la littérature, pour moi, c’est tout, et je ne serais pas étonné qu’aux prises avec les séquelles d’un AVC, mon frangin serrât les dents pour produire avant le second quelque œuvrette bien écrasante, étant resté le même morveux qui, détenteur d’une mention TB (de 68) au bac sciences, tint, pour bien me piétiner, à se présenter l’année suivante en lettres, et, pour ma délectation, se fit étendre.Ne serait-il pas tout simple, après tout, que, mentor puis bourreau de ses tendres années, arborant des certitudes péremptoires dont je dissimule le cœur de vide pour ne pas affronter nu des adversaires cuirassés, je sois resté pour lui, quoi qu’il en ait, ce juge à abattre que mon père, si “nul” que je le voulusse, est demeuré pour moi presque jusqu’à sa fin?

     Cédé-je à l’égocentrisme? Rien ne serait plus ridicule, touchant des vies à ce point séparées : déserte comme est la mienne, il est normal que les acteurs du passé y soient dotés d’une présence que je ne puis me flatter d’avoir dans la leur, à l’ordinaire beaucoup plus peuplée. Nous nous connaissons fort peu; du moins les connaissances ne sont-elles pas rafraîchies, puisque nous ne nous sommes rencontrés de dix ans, tant les revoirs antérieurs avaient été décevants, mais de cela l’assistance – parents, enfants surtout, générant la frime – était largement cause : reste à savoir si nous trouverions grand-chose à nous dire en tête-à-tête. Michel a-t-il réussi dans la vie? Comparé à moi, assurément; mais il n’a jamais qu’intégré la médiocre école des mines de Nancy, et, spécialisé dans l’informatique, touché des émoluments mirobolants pour un prof, mais tout juste suffisants pour élever deux enfants, louer 120 m2 à Paris, voyager d’importance, et s’offrir du Pétrus dans les grandes occasions. Je garde dans la prunelle la frimousse d’une maîtresse lorraine délicieuse; mais celle qu’il a épousée […]; je ne retiens à sa charge ni sa bêtise, insuffisamment prouvée, ni son animosité à mon égard, simple sous-traitance des infos fournies par son époux. Mais je fus stupéfait, connaissant l’ultimatum : « des gosses, ou la séparation », d’apprendre que Michel y avait cédé, pour conserver une compagne si peu gratifiante, et non moins, peut-être, une quinzaine d’années plus tard, qu’elle l’ait planté là, pour un type dont elle ne surfaisait pas les mérites, mais qui avait au moins celui de l’aimer, au lieu de la traiter comme (j’ai retenu l’expression) « le torchon pendu dans la cuisine ». Après quoi, je suppose qu’il a essayé de diverses liaisons, avec le fil à la patte de moutards à ne pas traumatiser, et qui ne s’en sont apparemment pas mal sortis. D’autre part, outré qu’elle ait pu lui préférer un quidam… Oh, merde! Où veux-je en venir, à la fin, avec ces bilans comparés qui sont encore plus mesquins que leur auteur? Si c’est à conclure que je m’en fous, je ferais mieux de les biffer! Seulement la vérité est que, si la nouvelle d’un AVC m’a beaucoup plus ému que je ne l’ai fait paraître, chaque fois que je trouve un détail pour inférioriser mon “ravisseur de droit d’aînesse”, je suis pris d’une joie mauvaise et rétorsive – à mes yeux seulement? Ça ne prouve rien, car je suis le seul à instruire à charge et à décharge: étaient-ils tous conscients de la multiplication par zéro que subissait mon bilan à moi, quand je me retrouvais en famille, je n’en suis pas certain : après tout, que seuls comptassent là le fric, les relations, le prolongement de soi par la vie qu’on a transmise, enfin une réussite sociale dont je suis absolument exclu, ça pouvait paraître naturel à la plupart; mais ni à mon père, tant qu’il fut doué du gros de ses facultés, ni à Michel, lequel semblait au surplus en perpétuelle attente d’une agression de ma part, et prenait fréquemment les devants, je ne “passais” de rentrer en si mauvais état dans mon nid d’aigle métamorphosé en terrier, pauvre clodo dont rien ne compensait le naufrage, de sorte qu’il me fallait d’une semaine à un mois pour rallumer mes fourneaux, et que je préférai enfin me passer de ce régal autant que possible. Mais n’inventé-je pas l’intention du silence, et, supposé que non, n’était-elle pas de rabattre la superbe qu’on me supposait, voire une supériorité dont on se serait offusqué? Chez mon père, l’affectation de faire comme si mes écrits n’existaient pas, voire de s’en taire comme d’immondices honteuses et humiliantes pour leur auteur, était, je crois, manifeste; chez mon frère, beaucoup plus douteuse; et n’importe comment, qu’aurais-je donc souhaité? Qu’on m’en parlât? Certes non. Alors? N’étais-je pas, in petto, enchanté de me plaindre du piètre accueil de cette bande de Philistins, et n’allais-je pas jusqu’à paresser au retour pour leur mettre mon improductivité sur le dos, et me soustraire au devoir de visite? Bah, c’est plutôt à présent, que je forge cette ruse bizarre : dans l’intimité, je me fous de tous les devoirs.

     Quant à mon frère, je le répète, à supposer que je l’aie haï, en tant que chouchou à sa mémère et adepte du mouchardage (lequel, envers et contre le Zeitgeist (qui l’a seulement rebaptisé signalement), est resté ma bête noire, le pouvoir étant nécessairement mauvais, quoique devenu moins sanguinaire dans nos contrées), c’est superficiellement et sans durée : s’il me décevait à chaque revoir, c’est qu’il m’était resté cher, et que je persistais à en espérer la lune. Du reste, même si mes leçons ne lui ont pas valu son avance et ses succès, il paraît clair, quoiqu’il m’apparaisse en songe toujours dominant, du côté du manche, et moi subalterne à jamais – les rêves érotiques distribuaient moins nettement les rôles; mais ils semblent avoir définitivement disparu, de peur peut-être de se retrouver épinglés ici –, que j’ai dû commencer par le materner, qu’il a fallu ces foutus résultats comparés pour me dresser contre lui, et me “pousser” dans le tunnel étroit, noir et vertigineux de la dévalorisation, contrebattue sans délai par le soi grandiose, qui naquit chez moi comme un pur postulat de précellence, en quête de réel et de sujets contenants à quoi se raccrocher : plus j’y pense, plus j’adhère à ce retardement du désarroi, bien qu’il me désoblige de devoir renoncer à une psychose précoce, même en échange d’un rôle pédagogique qui aurait fait de moi l’artisan de mon malheur : si ma mère m’avait rejeté à quinze ou dix-huit mois, voire avant, il serait méritoire d’avoir, sans taxer la sécu, remonté la pente jusqu’à une autarcie psychique rare, surtout à base de dépendance totale. Un rejet à six berges, surtout sachant pourquoi, c’est  le tout venant de la névrosette.

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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