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Inventaire avant liquidation
21 novembre 2018

Fessées salvatrices; un objet de charité? Retour aux corps

     La cour de récré était petite, et il y avait cinq ou six instits pour la surveiller : il ne me paraît pas vraisemblable qu’on se soit engouffré en masse dans l’entrée des Enfers sans alerter leur vigilance, et encore moins qu’il ne se soit pas trouvé un morpion pour moucharder, et des parents pour porter le pet. Je me vois encore surpris par Plissonneau alors que je montrais… ma bite, cette fois, à un copain, sur le chemin des chiottes (alors que je n’ai aucun souvenir de voyeurisme : j’existais seul, les bijoux de famille des autres étaient sans attrait, même sur un simple plan comparatif). Ça vaudrait le coup de demander à ma mère s’ils ont été avertis [1], si j’ai été menacé d’exclusion. Je soupçonne que cette “énucléation de l’œil droit” qui figura sur ma carte d’identité jusqu’aux années quatre-vingt, m’a valu une protection spéciale : pervers, certes, mais pervers excusable, et mon Dieu, tant qu’il ne présentait aucun danger… Le plus curieux, c’est que je persiste à faire un tel plat de ce qui fut sans doute perçu comme une banale annexe aux concours de zizis et de mictions auxquels s’adonne ordinairement cet âge, et que la taraudante culpabilité d’alors renaisse de ses cendres. Mais c’est que je crois la distinguer par les yeux de ce qui n’était pas mes pairs, et ne les serait jamais. Je ne me souviens pas d’avoir été battu, harcelé, terrorisé à cette époque, tout indiqué que je parusse comme tête de Turc, ni d’ailleurs à aucune, à part un bref épisode en sixième : cet âge n’est pas sans pitié, et peut-être faisais-je l’objet, dans mon dos, de recommandations charitables. En tout cas, on se laissait terrasser lors des assauts de lutte sur le bac à sable, et je n’en revins pas, le jour où le plus mol de mes adversaires, à l’oreille duquel un meneur avait glissé quelques mots, me fit toucher des deux épaules en cinq secs, alors que je l’avais jusque là aisément ratatiné, non sans éclats d’arrogance qui avaient probablement fini par leur porter sur les nerfs. En huitième, alors que nous nous massions à la porte de la classe, ce fut un temps la coutume que les “grands” de septième formassent autour de nous un cordon, et que les deux groupes échangeassent des insultes choisies et de rares horions (leur chef toutefois se ferait crever une couille l’année suivante par un troisième couteau). Je m’étais fait une spécialité de franchir en douce ce rideau de troupes, et de revenir vers les miens en calottant un agresseur au passage : un peu surpris que ça marchât à tout coup, de n’essuyer jamais de représailles, et que l’exploit ne fût pas salué d’acclamations. Est-ce que je ne me doutais pas que j’étais ridicule, parce qu’intouchable et vaguement répugnant? Il me semble entendre, je ne sais de quelle bouche, un « tu devrais pas » hésitant, apitoyé, que je n’ai su décrypter que bien des lustres plus tard, et qu’il est tentant d’appliquer à tout hasard à ma vie entière, bien qu’il soit tout de même ardu d’attribuer à la pitié pour un infirme ou un malade l’affection, l’admiration ou le bon vouloir qu’on m’a si parcimonieusement témoignés : est-il pensable que des égoïstes comme Chantal ou Hélène se soient vouées à l’assistance et protection d’un handicapé? Pas vraiment, mais bien qu’elles aient lambiné à saisir à qui elles avaient affaire… pour le planter là. Quant à ma vocation littéraire, je n’ai guère à me plaindre qu’on l’ait tant ménagée… mais elle a bien ce revers noir et hypothétique des peep-shows et des prouesses de tactique : pauvre garçon, laissons-lui ça, tant qu’il ne la ramène pas trop, et ne prétend pas compter pour de vrai. En somme le gosse qu’on laisse pérorer pour qu’il s’épanouisse, et auquel on donne sur les doigts quand il commence à se croire à la hauteur des adultes, et se pique de leur en remontrer.

     Que j’aie rêvé au lieu de vivre, dans un milieu spécialement protecteur, ou dans une solitude où je n’avais de coups à redouter que de ma main, je le crois. Mais que tout le monde sût à quoi s’en tenir, là je rétice : il me semble lâcher le mythe de mon omnipotence pour le renforcer (puisque mon sort aurait été le point de mire universel, et qu’au surplus je m’en rendrais compte) par la fable symétrique d’un complot caritatif : des gosses de sept ans, que diable, ne font pas leur B.A. en regardant une paire de fesses dans la pénombre! Non, non, je devais un peu déconcerter; et puis, j’avais sans doute des raisons pressantes de m’aveugler, mais je n’étais pas si idiot que ça, du moins n’est-ce pas ce dont on m’a taxé ensuite, en vidangeant, de loin en loin, le non-dit : mais d’une part, de faire mon intéressant; et de l’autre, d’être anormal et inhumain. Consensus de dégoût, de dédain? Plutôt de gêne et d’inappétence, que les miennes, après tout, ou leur apparence, pourrait bien en partie provoquer.

     Ne me calomnié-je pas, il y a quelques lignes,, en fustigeant ma poussive créativité? Averti du défaut de ma tronche, montrer mon cul était une trouvaille, une sortie du cadre sinon géniale, du moins élégante, pour sept ans; j’allais à l’essentiel, sans me payer de fioritures, et ma foi, j’avais réussi à rassembler un public, à quoi j’ai toujours échoué depuis, si j’excepte celui, contraint, de mes potaches. Sur quoi, ne me serais-je pas dégrisé de ce suffrage populaire avilissant, et toujours suspect d’être mêlé de mépris, pour me renfermer dans un idéal du moi plus accessible, grâce à l’entremise d’un instituteur providentiel? De fait, j’émergeai du tunnel en huitième, grâce à Retail, alias Pépère Gratte-Couilles, qui n’était sans doute pas un aigle, mais me fit l’honneur de me distinguer, et d’abord par ses sanctions, puisqu’il m’infligeait des fessées en pleine classe, en enlevant sa bague, crois-je me souvenir, ce qui les rendait quasiment réglementaires. Étais-je le seul? Je n’en jurerais pas, mais le mieux servi, c’est certain, et loin de lui en vouloir, c’est bien le seul que j’aie – adoré? ce serait trop dire, mais je lui étais assez reconnaissant de ses soins pour décoller des abysses, manifester de très relatifs dons en orthographe, récitation et composition française, et, sans menacer jamais la suprématie d’un certain “B***, Gérard”, l’homologue de mon petit frère, pour figurer enfin au palmarès, avec “encouragements” – ce qui ne m’empêchait pas de chahuter, loin de là, mais c’était, dans certaines limites, chose admise : j’étais le bon diable de ce brave homme. Sans lui, serais-je seulement allé jusqu’au bac? En tout cas, je crains fort, prof devenu, de n’avoir remplipour personne ce rôle de soleil nourricier, et en revanche d’avoir été, pour quelques-uns, un éteignoir. Camus m’agace, quand on lui décerne le Nobel, avec son télégramme de remerciements au hussard noir qui l’a tiré du lumpen : quelle affectation! Si le Nobel m’était échu, comme je me gargariserais (in petto) de l’avoir obtenu envers et contre tous! Mais non, j’ai eu ma main tendue, moi aussi, très rigide même, quand elle s’abattait sur mon postérieur. La place d’icelui, souffrant ou non, mais toujours spectaculaire, dans cette préhistoire, ne laisse pas de me troubler, avec sa référence obligatoire à Rousseau, à la fessée de Melle Lambercier et aux exhibitions de l’objet ridicule dans les venelles de Turin. « Le sot plaisir que j’avais de l’étaler à leurs yeux ne peut se décrire » : au moins choisissait-il des femmes comme spectatrices et bourreaux. Mais je n’avais pas le choix, et au surplus je doute fort que la douleur fût recherchée pour elle-même : elle n’était pour moi qu’un signe d’élection.

     Moui. Ce “ne… que” péremptoire n’est-il pas suspect? N’intellectualisé-je pas indûment tout cela, n’est-ce pas fuir la vérité de faire des corps un véhicule et une apparence, alors qu’ils sont venus les premiers? Que je n’aie bandé [2] ni à battre ni à être battu, que ce fantasme n’ait tenu aucune place dans mon cinoche-à-branlettes, ni dans la part de rêves qui survit à la nuit, ne saurait faire figure de preuve. Et il me semble commettre un délit de grave désuétude en effaçant les fesses, en les réduisant au statut de support ou de symbole d’un moi scandaleux, exhibé et puni, en négligeant ce goût que j’ai des culs pommés, voire du sillon entre les seins qu’un bustier rapproche, et qui pourrait bien renvoyer à une autre raie… Faut-il ensuite, quand j’évoque le panard du pétrissage et de la pénétration bien glissante, mettre l’accent sur le besoin de croire aux félicités folles de ma partenaire, et de la sorte récupérer le moi par le rebond d’une projection inconsciente dans ce popotin éperdument malaxé? Ou le laisser à son objectalité, et partir en quête de ses racines? Quand je les retrouverais, d’ailleurs, sous forme d’image ou de scène primitive, de quelque coït parental a tergo, ne m’estimerais-je pas encore pitoyablement daté, misérablement pré-lacanien, de faire si maigre sort à ce Q qui vient juste après le P de Paul, (dit Popo!), mon Papa, et au P. Q. dont je fais une si forte consommation? N’avais-je pas, aux temps que j’évoque, à mi-chemin de bite et de pine, baptisé bine le pénis, pour en ôter sans doute la marque du proprio, l’adoucir, le féminiser? Cet Oké étrangement obsédant, ne serait-il pas un OQ, encadrant la béance du P? Faut-il me lancer dans cette exploration des réseaux, ne serait-ce que pour signaler aux doctes que je ne suis pas si pedzouille que je n’en ai l’air, et que certains silences tiennent moins à l’ignorance qu’au refus… d’une facilité à mes yeux mensongère? Que tout s’explique, en marge de la raison, par l’érotisation de choses, de mots (le fâcheux, c’est que ceux qu’on tire d’un sac font aussi bien l’affaire!), d’associations obscures, je n’aurais rien contre, si les sens possibles ne formaient un inextricable embrouillamini. Revenons donc aux corps, et essayons de resexualiser tout cela, en combattant l’ennui distillé par un traitement au bromure, et en oubliant le gros volume que nous avons consacré à nos minces amours, ce qui entraîne le risque de le répéter.

 

[1] Non, dit-elle : or elle n’a aucune raison de mentir, et en aurait fait un drame qu’elle n’aurait pas oublié.

 

[2] . Et pour cause : ma première érection ne surviendrait que trois ans plus tard, je puis la dater avec une certaine précision, puisque j’étais alité suite à un accident, et qu’alarmé par l’enflure, je consultai ma mère, dont la gêne visible m’ouvrit, après un délai, des abîmes de questions. Fruit d’une éducation puritaine, et, peut-être déjà, d’une fermeture à l’altérité… N.B. qu’une ou deux générations plus tôt, il n’était pas si rare que la période de latence durât jusqu’au mariage, ni sans exemple que deux mal informés s’évertuassent à faire des enfants par le nombril.

 

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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