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Inventaire avant liquidation
19 décembre 2018

Soi grandiose, retard sexuel et fixation sur l’enfance

     Revenons-y : en somme ça semble, dans les grandes lignes, aller sans dire que chez un abonné aux mauvaises surprises, la méfiance et l’habitude finissent par se traduire en refus d’évoluer, surtout si le sujet a trouvé dans une enfance mythifiée des réponses à certaines angoisses, associées à des performances reconnues : par l’autorité pour les résultats scolaires, par les pairs pour la dissidence et la délinquance. L’esprit d’enfance résiste chez la plupart des gens, mais il est ordinairement confiné dans les lazarets de la Fête, de manière à éviter toute contamination à la gravité, à la “responsabilité” et à l’obéissance de la vie ordinaire. Quand on bosse, on bosse; et quand on se détend, à demain le sérieux! Que, comme je le professe, le meilleur travail soit exécuté dans la joie, et qu’il n’y ait pas de vraie joie sans découverte, constituent des assertions subversives, probablement élitaires (pour la majorité des hommes, le travail est d’abord souffrance et répétition, supportées par contrainte ou/et en échange d’une rémunération, et j’ai vu trop de peloux pour qui la joie n’est que détente, excluant toute “prise de tête”), il n’en demeure pas moins que la plupart des créateurs, même ligotés au carcan d’horaires implacables, ont su se préserver de l’esprit de sérieux, ce qui, joint à leurs œuvres, donne une haute idée de leur liberté. Cela dit, l’esprit d’enfance n’est pas caractérisé par la création (celle des gosses étant généralement inconsciente, imitatrice, et sans valeur) mais plutôt par l’ignorance, l’irresponsabilité, le refus des limites, la confusion du réel et de l’imaginaire, l’érosion rapide de l’attention, l’impossibilité d’habiter un devoir… toutes tares dont on va s’efforcer de faire des vertus, par fidélité à une stratégie qui a déjà permis d’échapper à une prise de conscience déprimante, et pour moi, sur fond d’amour-qui-se-mérite, ce fut sans doute celle-ci : « Je suis second, donc dernier », à quoi j’ai répliqué : « Non, je suis certainement premier, le premier de tous d’une façon ou d’une autre », et en jouant ma vie, devant mon père, devant le public des potes, et devant Dieu tant qu’Il a vécu, un Dieu-spectateur qui ne s’embarrassait pas de dogmes, ni tellement de morale, mais voyait tout, et savait, Lui, que le spectacle que je donnais était sans égal. J’ai ramé pour me faire accueillir par divers êtres ou groupes, mais dans mon sens, sans doute parce qu’il m’avait suffi d’être une fois dupe de ma soumission, qui dès lors me paraîtrait le pire des vices: je ne pourrais pas m’empêcher de chercher à plaire, n’existant pas assez sans reflet, mais ce serait désormais sans déférer aux ordres, ni même aux suggestions, et de facto en déplaisant, car je n’étais rien d’autre qu’une postulation nue de précellence qui cherchait un aval par l’imitation sournoise, parodique ou inversée. Claire, un temps, m’a réconcilié avec mon enfance : aurait-elle pu, durablement, me sauver d’un exil hors de mes pompes? Il aurait fallu qu’elle condescendît à me remarquer sans dégoût, à m’accepter comme partenaire platonique, que la Belle au Bois Dormant ne sortît pas du sommeil sexuel un an ou deux avant le Prince Charmant : conditions quasi impossibles à remplir, et qui, remplies, n’auraient sans doute débouché que sur une extinction rapide de l’auréole et la mort de l’amour. La fixette sur une fille qui, bien que quotidienne, n’existait pas, étant faite de projection pure, constituait sans doute la seule réponse qu’au désarroi pût donner l’orgueil, à quoi elle était censée servir de miroir. Si je n’ai pas pu “grandir”, c’est aussi pour m’être entêté à un type d’amour désincarné que la plupart des “autres” avaient dépassé avant moi. Un des reproches que je fais le plus couramment au commun des mortels, c’est celui de tripatouiller le réel non seulement pour avoir raison, ce qui serait véniel, car on peut toujours en discuter, mais pour toujours l’avoir eue : dirait-on pas que, comme le cas en échoit si souvent, c’est moi-même que je fustige sur vos fesses? À la différence de Michel, Kapok, Sylvaine, Müller, en somme d’à peu près vous tous, je crois me garder de la prétention de l’avoir bien dit et bien prévu, quand on n’en a rien ouï, mais il ne serait pas si inexact, ce me semble, de dénoncer mes huit à douze ans de stagnation paradolescente, et plus un demi-siècle d’enfance opiniâtre, comme fruit du refus de m’être trompé à douze ans, notamment quand je proclamais que l’attrait sexuel, c’était du bidon. D’ailleurs, n’en reste-t-il pas quelque chose, dans mon goût esthético-affectif des fillettes (que je m’époumone à protester asexuel, alors que les courbes les plus voluptueuses me semblent comme perdues, sans l’enfance préservée d’un visage de femme) et dans l’enthousiasme que j’éprouve à faire de la chair une simple province du narcissisme, alors qu’on pourrait trouver évident que pour un type qui baise – que dis-je? touche! une fille – pour la première fois à 25 ans, et passera le plus gros de sa vie à se branler, le nœud, si j’ose dire,est là? Pourtant je n’en démords pas : je ne ressentais pas le sexe comme coupable ou honteux, mais je ne pouvais braver le risque d’en être jugé indigne par essence, comme on me l’avait laissé plus d’une fois entendre… C’était prêcher un convaincu? Oui, la seule idée d’une concurrence me faisant frissonner… mais convaincu aussi que dans un autre ordre,pourl’âme-sœur qui me reconnaîtrait je serais ipso facto hors concours; « parce que c’était moi, parce que c’était elle »… Naturellement, je n’avais pas d’objection à baptiser ce vin-là : un soi grandiose moins solidement remparé, nanti d’une excuse moins bonne qu’une infirmité classée, aurait risqué le râteau, et commencé par faire le peu de gestes qui manquaient, quand une nana passable s’offrait presque manifestement; mais c’était remettre en jeu une maîtrise (verbale, culturelle) qu’il m’était loisible d’imaginer absolue aux yeux de ma partenaire, tant que je ne lui demandais rien – et éviter le ridicule attaché à un pucelage de plus en plus tardif, dont je devais bien redouter qu’il ne se révélât au cours de l’étreinte, comme il le fit immanquablement, par chance ou malchance avec une passante.

     Est-ce à dire que, m’eût-il été offert de connaître d’autres femmes que celles d’une littérature où les descriptions d’un pédéraste exclusif comme Montherlant ont pu briller par leur exactitude et perspicacité exceptionnelles, qu’eussé-je couru de maîtresse en maîtresse, ou joui, si ça existe, d’un long amour tranquille, j’aurais vécu des ans plus utiles, et même plus heureux, qu’à relire toujours les mêmes bouquins, ou à rapetasser sans relâche des textes grotesques, et qui le restaient au bout des corrections, si elles n’en aggravaient pas les défauts? Il est certain que je n’envie pas la collection de conquêtes payantes, et toutes désespérément identiques, du Walter de Ma vie secrète, ou autresadonnés à l’érotisme qui savent de quoi ils parlent, je suppose, mais n’en sont pas moins, pour la plupart, aussi ennuyeux qu’une messe. Il n’empêche qu’actuellement, ayant mené cette aventure-ci aussi loin qu’il était en moi, je tendrais à répondre : « Pas photo! », et, à cette fille d’un peu plus que mes vingt ans, qui m’avait pris en stop, et demandé, en tournant vers son village, du côté d’Avignon : « Qu’est-ce que je fais, maintenant? » – « Ce que vous déciderez! Mais vous me plaisez beaucoup, et je ne suis pas collant », ou à cette autre… mais on n’en finirait plus, et un recueil de répliques de l’escalier, ou un manuel de drague entièrement composé de ce que je saigne de n’avoir dit ni fait, quoiqu’éventuellement utile, pour le coup, me paraîtrait bouffon à rédiger. Qui donc n’aimerait refaire sa copie? Qui donc arrive en vue de la fin sans se dire qu’il a gâché ses chances à plaisir?

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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