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Inventaire avant liquidation
18 décembre 2018

Un “apprentissage” vide; une vie en marge du réel, et  inutile, de par la démesure de ses ambitions

     Bien entendu, mes chers Stendhal, Dostoïevsky, Saint-Simon, Proust, Montherlant, et moult autres, avaient quelque chose à m’enseigner, mais pas le réel, que je leur réclamais; pas un, non pas même les plus crus, n’aurait pu m’apprendre, par exemple, qu’il fallait bouger en baisant, au lieu, une fois introduit, d’attendre quiètement l’orgasme, parce qu’ils n’assuraient pas un cours élémentaire : il est un rudiment qu’on ne trouve plus nulle part, quand on ne l’a pas saisi au moment voulu : après, ça va de soi pour tout le monde, et si vous ne savez pas à vingt ans comment on s’y prend pour faire l’amour, se faire “respecter”, ou ne pas mourir de faim (tous savoir-faire à quoi l’école peut vous initier, mais pas en cours : dans la cour de récré, via les pairs mieux informés), vous avez chance de l’ignorer toujours. [1] D’autre part, si les textes littéraires survivent par une certaine intemporalité, leurs auteurs ayant fait l’effort de s’abstraire des modes et préjugés de leur époque, ils n’ont pu y réussir parfaitement, et quand ils y sont parvenus, c’est en des domaines que l’esprit humain n’a guère changés : devant la mort, même si c’est en moyenne un peu plus tard, on demeure aussi désemparé qu’autrefois, et les textes n’ont pas vieilli; en revanche l’homosexuel, jadis brûlé, fonde un foyer et exige une progéniture officielle; la faiseuse d’anges guillotinée sous Pétain opère sans risque dans le laps légal et avec le diplôme exigé; la femme adultère et la fille mère ne subissent plus d’opprobre que dans des contrées arriérées… autant d’enjeux bien affadis, d’affaires jugées sur lesquelles les romanciers historiques peuvent jouer à frais nuls les courageux et les infaillibles. Mais surtout, quand elle serait fraîche du jour, quel fada irait donc considérer la littérature comme un reflet de la vie, y chercher des tuyaux, comme je n’ai cessé de le faire, et le plus souvent, pour tancer les écrivains de me fourguer de l’idéologie en guise de réel? Je n’irais pas jusqu’à soutenir qu’il n’existe d’autre talent que de savoir de quoi l’on parle, ou l’art d’en donner l’illusion, mais c’est sans doute celui auquel je suis le plus sensible, car dont j’ai le plus besoin, doute le plus facilement, et me sens le plus dénué… à moins naturellement de me borner à parler de moi et de mon dénuement, mais on finit par s’en lasser soi-même, après tous les autres. Je me rends compte, bien sûr, que cette séduction d’une Parole du Père à laquelle j’aurais pu me fier, et qui fut, selon les époques, aussi bien celle d’Ambler, d’Eco ou de Tom Wolfe que de Proust, Sartre, Montaigne, Leiris, etc, ne peut se passer de l’outil verbal approprié, sauf à couronner grand écrivain mon plombier analphabète quand il parle de son métier. Mais j’ai une telle horreur du baratin, du discours creux, du signifiant sans signifié dont certaines époques et certaines cultures, la française (révolutionnaire ou postmoderne) au premier rang, font leurs choux gras, qu’à la limite je préférerais une page sans innovation, sans révélation, sans créativité, et même ennuyeuse comme la pluie, à une caracole de verbe sans référent précis. Ou qui me paraisse telle : car il est un peu gênant que certains de ces mots dont ils ont tous plein la gueule, comme respect, cet étendard des loubards et des mafieux, ne soient pour moi que son sans sens.

     Haaalte! Où va-t-on, là? Je répugne à paraître entériner le verdict du Roi des Gogues, en me remettant quelque temps en plongée, mais il ne me réussit pas, dirait-on, de sentir l’écurie. Mon intention initiale était de contester un peu cette vision de mes 17 à 25 ans comme un piétinement désespéré, en y cherchant la trace d’une vocation : n’aurais-je pas “fermé l’huis sur moi” pour apprendre au moins à écrire? Sinon intentionnellement, du moins de facto? Ça ne tient pas un instant la route quand je me remémore ce temps-là (ou le ravive rien qu’en suant sur l’alinéa qui précède), et la question a priori : est-il possible d’apprendre à écrire séparément du reste? méritait d’être posée, même si je ne sais qu’y répondre, pas plus que je n’ai su, du temps où c’était mon boulot, inculquer des “moyens d’expression” indépendamment de la “chose à dire”. Est-ce qu’au moins je me suis forgé un langage, sur le tas et en démarquant les maîtres? Ce serait bien l’exigence minimale, pour qui n’aurait rien fait d’autre; mais je crains que l’ignorance seule ne lui donne ses contours. Puisque me voici, semble-t-il, dans une impasse, et qui ressemble étrangement à celle où s’est fracassée mon adolescence, peut-être le détour par le style, au lieu de se confiner bêtement dans un post-scriptum appliquant des découvertes toutes faites, permettrait-il l’ouverture de quelque aperçu nouveau. Je vais essayer d’entamer ces recherches, mais sans me cacher que les études de fréquences comparées peuvent prendre un temps fou, et n’aboutir à rien

     Seigneur! Est-ce si compliqué? Ma vie a été inutile, voilà tout, parce que j’ai gardé l’œil fixé sur les cimes, sans avoir ou m’être donné les moyens de la grimpette. Est-ce que je m’imagine transcender cette inutilité in extremis, en la cartographiant, en retraçant son histoire, en me mettant en quête de ses causes? Comment une telle entreprise échapperait-elle à l’emprise d’un soi grandiose constamment contrecarré par la paresse, l’inhibition, l’incapacité, lesquelles relèvent partiellement de ses dépendances, comme il me semble l’avoir montré, mais pas seulement? Est-ce que je ne ferais pas mieux, s’il me reste une dizaine d’années à vivre, sinon de revenir à Dieu, le législateur mesquin du Pentateuque et le Jésus qui nous menace de la géhenne de feu pour des peccadilles étant tout simplement inacceptables, au moins à un altruisme modeste, adapté à mes pitoyables possibilités? Pourri à cœur par l’attente d’un retour? Et alors? Il ne s’agit pas d’échapper à la condition humaine, mais de se subordonner aux besoins d’autrui, qui ne sont ni de mercuriales ni d’un rossignol de plus, mais de soupe chaude et d’estime de soi. Vidangeons nos biefs de superstition : dans la boue du fond bubulle une théorie comme quoi On n’a permis à mon père de “jouer les prolongations” que pour lui donner des chances de résipiscence, et à moi celles de l’y amener, que je n’ai pas saisies (ni lui les siennes, ou alors in extremis) : qui sait si dès à présent, dans un système explicatif qui n’a pas cours dans ma cervelle, mais qu’il serait à sa portée d’adopter, les vingt fois au bas mot où, au volant, au flanc d’une falaise, d’un vieux mur, ou après ingestion de quelque cocktail censément létal, j’ai échappé au trépas dû à un histrionisme forcené et à une invincible ignorance du réel, n’étaient pas autant d’occasions de m’amender; si les vingt mauvais livres que j’ai tâcheronnés ne constituaient pas des preuves suffisantes que la voie dans laquelle je m’acharnais était mal choisie… Merde! Il faut au moins que je finisse celui-ci, avant de prendre des dispositions différentes. Et comme celui-ci n’a de limites que l’extinction des lumières… eh bien, ne serait-il pas plus efficace, comme antidépresseur, de revenir à l’erreur initiale qui m’a collé sur cette voie de garage, en l’aménageant tant bien que mal : rien ne nous oblige à penser, après tout, que le narcissisme pathologique constitue un obstacle dirimant à la production d’ouvrages de génie! Génie que le rejet muet de La Lavette et la censure d’Iznogoog pourraient bien après tout, attester à leur manière! Je gêne, donc je suis. Et c’est reparti pour un tour! Notez que, quoiqu’immature à vie, j’ai une vague notion des millions de milliasses d’humains qui connaissent des malheurs un peu plus sérieux que les miens : je ne suis pas occupé à me plaindre en ce moment, comme on pourrait croire, mais à chercher des moyens d’en sortir, après avoir largué en route la quête de liens logiques (que Kiley n’établit pas) entre refus de grandir et supériorité (ou perfection) narcissique, avec son revers de dévalorisation.

 

[1] Ce qui est un peu plus étrange, quand on est quotidiennement submergé de pubs, c’est de ne trouver nulle part cexé au juste qu’un iPad, un blu-ray, un smartphone, une chaîne Bose, ou par quel diable de matériel vous pourriez remplacer vos cassettes désormais inutilisables. Bon, je reconnais que je n’ai pas beaucoup essayé. J’aimerais pourtant écouter de la musique sur autre chose qu’une chinaloperie qui colle aux violons un accompagnement d’autoroute… Mais apparemment il faudra m’en contenter jusqu’au bout, et, je reviens à mon thème, du fait même de la solitude, encore plus invalidante quand il vous manque jusqu’à la notion d’un besoin, que vous ne découvririez qu’en le comblant. Mon petit-neveu de deux ans, dont il a passé le plus gros à Dubaï, s’écrie, ravi, à sa première rencontre de la pluie, en Limousin : « La douce, la douce! » et attraperait la crève si on le laissait faire. Il me semble, touchant les inventions des dix ou vingt dernières années, végéter dans la même ignorance, le charme en moins.

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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