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Inventaire avant liquidation
6 février 2019

Écrire, parler, tuer : avantages et inconvénients

 

     Évidemment, s’il suffisait d’écrire… Mais souvent, ça suffit, du moins dans les affaires d’envergure un seul. J’ai obtenu tous les dégrèvements d’impôts que j’ai demandés, pour m’en tenir à cet exemple – et peut-être vaut-il mieux, en effet, m’y borner, les organismes face auxquels j’ai échoué étant largement majoritaires. Mais c’est qu’ils usaient, avant la lettre, de la méthode Céline : que voulez-vous répliquer au silence? Même résolu à tuer, encore faudrait-il savoir qui. Dans le cas présent, certes, je le sais, mais le désir m’a passé d’en venir à cette extrémité qui comporte des conséquences trop inconfortables pour moi – et d’ailleurs, je n’ai guère envie non plus de m’offrir une tranche d’éloquence : d’abord, elle n’a jamais eu grand succès, que ce soit auprès des bailleurs ou des résidents; ensuite, je sais à quel point elle s’est essoufflée, et manque désormais de repartie; enfin, je l’ai assez dit, je ne souhaite pas la victoire, et ne saurais même plus, après ce brainstorming à cinq, de qui je prendrais les patins : depuis, je me suis même brouillé avec W***, qui m’a raccroché au nez un matin, sans même un “allô”, et ne m’a plus donné signe de vie. En bref, je n’ai d’autre base… que l’ennemi, sa façon désinvolte d’exercer le pouvoir, de nous faire les poches et de nous prendre pour des cons. Mais de l’ennemi, nulle nouvelle. 

     Supposons, et c’est surtout là ce qui m’arrête, que la fripouille baisse pavillon, avec de nobles paroles comme quoi puisque c’est ainsi que sont reconnus mes efforts, je me retire : passons sur les quelques fafiots que j’y perds. Le plus angoissant, c’est qu’on risque de revenir au chaos, qu’on peut compter sur notre ex-maître pour semer le bintz maximal dans la comptabilité, peut-être pour arrêter certains services (il suffirait d’une interruption de l’éclairage du parking pour que les bagnoles se remissent à brûler)… et que même s’il ne le fait pas, on n’a aucune idée d’à qui s’adresser après. Aucun syndic, personne ne voudra de nous. Si Cauchon nous reprenait, ce serait pour nous faire payer “notre” défection. La solution du syndic non pro, ou de la coopérative? Avec de tels animaux, qui tireront à hue et à dia comme toujours s’ils n’ont personne pour les guider? Impraticable, je le dis tout net. L’idéal ne serait-il donc pas de garder l’escroc, qui est “respecté”, ou au moins craint, sur la place, mais en le recadrant, c’est-à-dire en lui interdisant toute prise illégale de bénéfice dans notre immeuble, à quoi il devrait consentir, par simple terreur du réexamen policier de ses affaires passées? Me Marron est un notable, c’est certain, mais pas un assez gros, ce me semble, pour être couvert par les flics, du moins sans que ça ronchonne aux plus bas grades, enchantés, eux, je suppose, de l’arquepincer, et Dieu sait, sur ce coup, combien ce serait facile! Mais imagine un peu : Ilhem Bacha, le retour! Nous présentant un syndic de sa façon, et surtout aux nouveaux arrivants qui ignorent tout de ses vices de caractère et de sa faculté de nous pourrir la vie! Il n’est pas impossible que ceux qui ont connu ça, Rubel et Céline, Rubel surtout, sachent à quoi s’en tenir sur le bonhomme qu’au surplus ils sont allés chercher; et qu’ils croient choisir le moindre mal, sans compter sur leurs doigts que les Bacha, en trois ans, ne nous ont pas volé le centième de ce que Me Clâssieux rafle d’un seul coup de râteau, qui ne sera pas le dernier! Sans que la baraque y gagne un sou : c’est là la condition sine qua non de cette première douloureuse : il faut que le prix des appartements continue de baisser pour que leur transfert des anciens aux nouveaux proprios se poursuive : je ne vivrai sans doute pas assez longtemps pour nous voir tous vidés, mais au fond, l’irritation d’être pris pour un con me boostant quelque ersatz d’altruisme, ne devrais-je pas profiter de la proximité de ma mort pour, dès demain, aller au commissariat et demander à parler à un spécialiste des cols blancs? Quelle tristesse de n’avoir au monde personne qui m’aime assez pour me donner ce conseil d’ami que je donnerais, moi, sans frais, à mon pire ennemi! Méritée? Eh oui, je le crains.

     La tristesse, voulais-je dire dans cette tranche de journal intime que je vous sers amaigrie du plus gros des discours solitaires dont mes jours étaient tissés. La dernière démarche en a provoqué bon nombre, avant de se concrétiser : m’enivrer de formules, de discours indéfiniment ressassés – et à haute voix, siouplaît! dans une solitude très relative peut-être, car les cloisons sont minces entre les appartements –, ça n’avait rien de neuf, certes, mais ce n’est pas mon quotidien, et je crois pouvoir affirmer que je me passerais aisément de l’injection de “vie” que me procurent les agressions [1] : je ne m’amuse pas à les supposer, comme on pourrait croire, puisqu’elles succèdent à de longs mois sans, voire à des ans, où la solitude était aussi épaisse. Et en juin dernier, j’en avais moins “besoin” que jamais. Ma damnée carcasse poursuivait son degringolando, et les sorties en vue du “bien public” s’avéraient parfois pénibles : si la canicule est une bénédiction pour l’aine et les entrailles, l’éclairage excessif n’est pas recommandé aux yeux vieillissants, que la lecture esquinte bien assez – et quelles lectures parfois! C’est lors de celle d’un frileur antarctique et manichéen – ou plutôt d’un catalogue d’armes et d’explosifs entre lesquels l’action jetait ses passerelles – sur la fameuse disparition de Majorana, que, sans même le sentiment d’avoir “abusé”, je me sentis, lundi 18, la vue traversée par une sorte de zébrure de gel lumineux qui ne voulut pas céder aux clins, si appuyés qu’ils fussent : il n’en fallut pas davantage pour piger que je me fichais bien de connaître la fin du paveton auquel je m’accrochais comme une tique depuis la veille : le soleil n’était même pas couché quand j’avalai double dose de somnif; mais je mis à sombrer un temps assombri d’éclairs inquiétants, et du sentiment d’être incapable de réfléchir (ou de prier) pour mon compte personnel, n’ayant pas de compte personnel, aucun ego, ni goût, ni conviction, sans l’espoir d’un reflet. La réflexion : « je vais décidément être obligé de me tuer cet hiver » ne formait pas sens, je ne suis pas assez vivant pour cela – et ne le fus jamais, peut-être par simple peur de souffrir.

     L’endemain, le phénomène précis s’était calmé, laissant dans son sillage une baisse de vue indéniable et une généralisation du flou : un petit tour aux urgences ophtalmo s’imposait; mais comme on risquait de m’y rendre mal-voyant pour quelques heures (je n’avais tout de même pas prévu à quel point!), il fallait passer à l’Hôtel de Police avant. Action!

     Pas si étrangement, l’accueil y fut plutôt sympa : un béjaune (vingt ans à tout casser), en dépit de l’affluence, et de la présence d’un macchabe ou comateux recroquevillé au beau milieu de la salle d’attente, sembla s’intéresser à mon affaire dès qu’il eut sous les yeux les faits (murs insanes, notamment…), et bigophona à je ne sais quel connard spécialisé dans les cols blancs, lequel ne sut que 1) demander mon nom, en cas d’huile ou de titre, “connais pas” équivalant de fait à “qu’il aille se faire foutre”; 2) répondre que je n’avais qu’à porter plainte. Le gamin, que j’avais alléché en annonçant un “gros poisson”, parut défendre assez vaillamment ma requête insolite (un quart d’heure d’entretien pour “conseils stratégiques”), mais il était sans cesse sollicité par sa collègue, qui le soupçonnait (peut-être à juste titre) de m’avoir choisi pour tirer sa flemme; et il finit par me conseiller de revenir le surlendemain, à partir de 7h30 : je m’empressai d’accepter, estimant suffisante ma dose d’héroïsme du jour : de ma vie je ne pense pas avoir pénétré dix fois dans un commissariat ou une gendarmerie, et pas deux pour autre chose que déclarer des vols ou déprédations à l’intention de l’assurance.

      (Quant à l’hosto, thanks for asking, on m’y annonça un décollement postérieur du vitré, incident bénin – sauf qu’il fallait rester vigilant, y aller mollo sur la lecture, boire un litre et demi de flotte par jour, et prendre rencard pour août – après m’avoir balancé assez de lumière dans l’œil, via un verre de contact grossissant, pour me donner jusqu’au soir quelque difficulté à apercevoir mes propres mains : matière à méditation, non pas, j’en suis bien incapable, mais à rabâchage sur le thème : « mourir illico », bien confortable quand on a choisi le froid comme facteur, et que l’été commence. En l’occurrence, à l’objection classique comme quoi je n’en avais nulle envie, ce qui devait prévaloir sur les impératifs d’image, se joignaient des variations sur le dégonflage, ridicules du point de vue du néant, je m’en rendais bien compte, mais irrépressibles pourtant : l’échec du brainstorming m’avait certes douché, mais j’étais pas mal sorti de mon terrier ces jours-là, et n’avais trouvé que des sympathisants comme interlocuteurs : le conseil syndical semblait se cacher. D’ailleurs, la dérobade de toute base n’aurait-elle pas exacerbé plutôt qu’abattu mon désir d’agir, même à mon détriment? Je ne déteste pas, loin s’en faut, d’être seul à avoir raison, ni même à la garder : ce qui m’exaspère, c’est, quand les faits me la donnent, de ne plus rencontrer que des gens qui “l’avaient dit le premier”.

 

[1] Encore faudrait-il qu’elles eussent une apparence de réalité. Falaq, avec qui j’ai été si roide il y a quelques mois, serait étonnée d’apprendre que j’estimais riposter à l’offense constituée par ces mots qu’elle laissait, sans même contrôler, son traitement de texte écrire à sa place, ou par l’espèce de diaporama circulaire qu’elle m’envoyait comme à cent autres après une virée en famille dans le Lubéron. Qu’est-ce que tu peux bien m’apporter, si je ne suis même pas singulier pour toi? Réponse : quelques tuyaux dans mes soucis de santé! Disons une succursale de cette banque de renseignements dont je me plains, un peu plus haut, d’être exclu. Eh bien, si tu lis ça un jour, sache que j’ai effectivement regretté d'avoir à cette occasion préféré la rosserie au silence!

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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