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Inventaire avant liquidation
7 février 2019

”Démarches”, 3 : les flics

     Il ne m’amuse point d’aller moucharder aux flics. Je ne le ferais pour un assassin que s’il y avait de nouveaux meurtres, et imminents encore, à redouter de lui. À moins qu’il ne s’en soit pris à un enfant : là, faiblesse très commune, je restaurerais volontiers la peine de mort. Mais qu’un gibbon, secondé par une escouade d’imbéciles, pompe le fric et déglingue la vie de gens majoritairement consentants, quoique dans l’erreur, ce n’est pas ce qu’on peut appeler un crime capital, même si certains des jetés à la rue n’avaient de recours que le suicide. D’ac, seulement ce type, pour nous gruger, détourne un pouvoir qui lui a été conféré d’en-haut, et il me paraît légitime de le contrer à son propre jeu, auprès de cette autorité dont il se réclame, d’autant que le risque d’une condamnation pour dénonciation abusive, touchant un avocat, ne paraît pas négligeable, et la répugnance que j’ai à surmonter non plus. Ça m’a gêné l’avant-veille que le gamin de l’Accueil me sorte le liniment tout-fait pour les balances : « Heureusement qu’il y en a des comme vous, autrement on ne pourrait rien faire. » Mais que pourrais-je faire, moi, si je prêtais l’oreille à de tels scrupules? Évidemment, je serais moralement plus à l’aise, dans le face-à-face, avec mon sabre-à-canne : l’acte, irisé d’extrémitude, me ferait plus honneur; mais me contenter d’en rêver… d’ailleurs, préférer un meurtre à un signalement n’est-il pas un symptôme de mon dérangement mental?

     Je ne m’y crois pas tout à fait, mais en un sens c’est bien dans un polar que je batifole, où ne saurait manquer la réplique désormais obligée relative au fossé, spécialement large ou profond en l'espèce, qui se creuse entre la littérature et la vie. J’apporte des renseignements sur un faisan (presque) avéré, dont pourtant la probité n’a jamais été mise en doute, un bonhomme qui probablement ne fait que ça depuis vingt ans ou plus, et ne s’est jamais fait pincer : pour un flic ambitieux, c’est un beau crâne, surtout que le Maîmaître doit travailler en réseau. Or je crois qu’il a horriblement gaffé sur ce coup-là, par mépris, justifié dans l’ensemble, du populo auquel il avait affaire, et qu’il faut agir tout de suite, sans lui laisser le temps d’effacer ses traces, de faire de Briconnet et Cie une entreprise authentique, en lui faisant visiter la tour, embaucher quelques clodos, etc. Tout ce que je voudrais quémander, c’est un brin d’enquête que je ne suis pas en mesure de mener, sur les prête-noms, et sur certaines filiations qui ne seraient pas en soi délictueuses, mais montreraient à l’évidence que le conseil syndical, entre les dociles et les hébétés, comporte aussi un noyau dur de complices : Giraud est hélas un nom très répandu; je n’en trouve pas moins étrange que le patron d’une SCI qui, descendant du bleu, a raflé au moins trois appartes dans la tour au cours de l’an écoulé s’appelle Jérémy Giraud, alors que l’Éminence Grise du conseil syndical, qui a supplanté Rubel et mis son propre appartement au nom de sa fille Noémie Giraud, a nom Barthélémy Giraud. Si j’avais la moindre formation de flic ou de journaliste, ou si je consentais à m’inscrire sur Fesse-Bouc, je saurais si ces mi-Giraud sont apparentés : bon signe, me direz-vous, que les rats ne fuient pas le navire, mais au contraire y réfugient leur fric? En un sens. Mais les intérêts des bailleurs ne coïncident pas avec ceux des résidents, et je crains que dès à présent l’enveloppe des travaux ne soit assez épaisse pour dissimuler moitié, voire deux tiers de marge bénéficiaire, qui pourrait, même si l’on en conserve le plus gras pour le chef, être reversée aux complices de la main à la main : dès qu’ils auront la majorité dans l’immeuble, ils pourront pratiquer le surgonflement des charges en toute impunité (si elles leur sont remboursées sous la table) pour vider les derniers réfractaires : le processus prendra des années, et je serai mort d’ici là, mais nom de Gu, si cela dépendait entièrement de moi, j’irais jusqu’à m’accorder un sursis pour mettre ces forbans en échec, bien qu’au fond la bêtise et l’égoïsme de ceux qui partagent mon sort soient assez répulsifs…

     Au vrai, je crains que ce transfert d’un apparte après l’autre, cette phagocytation progressive de la bâtisse sous l’effet du mal-vivre, de la pénurie, de la peur (de la facture suivante et de la Justice), à quoi seule aurait pu répliquer une solidarité difficile avec des êtres qui ne parlent même pas ma langue, et ne forment plus qu’un six ou septième du total, ne soit, délestée des vols susmentionnés, parfaitement légale : raison pour quoi il faudrait se servir des actuelles bévues pour virer tout de suite l’administrateur félon. En toute logique : 1, le concepteur de ces murs est un abruti incompétent et dangereux; 2, il nous est demandé, même sans murs, de donner carte blanche à cet abruti incompétent et dangereux, et de lui verser 50000 balles pour le boulot qu’on peut attendre de lui; 3) [facultatif] abruti incompétent et dangereux qui n’existe qu’à peine : et si nous téléphonions séance tenante à Briconnet pour lui demander combien d’étages compte notre immeuble? L’enchaînement est imparable. Et cependant je suis à peu près sûr que le OUI l’emportera. Réussirais-je, d’ailleurs, ce serait au prix de la haine de mes frères, de tous ceux qui jutent de voir leur part diminuée de 60% – ce qui n’est même pas certain, l’ANAH n’ayant fait que promettre, et il me surprendrait que ce fût sans conditions.

     Je m’attends bien, de la part de quelque Maigret mâtiné de Pinuche et de Navarro, à quelques protestations comme quoi mon affaire ne le concerne en rien, mais « J’y viens. Laissez-moi cinq minutes de votre temps » constitue une exigence raisonnable; et j’ai quelques léchages de fion mâtinés de menace dans mon carquois, genre : « Je ne saurais pas enquêter, c’est un métier qui s’apprend, surtout par l’expérience, jsuppose. Un journaliste, peut-être, à la rigueur… Mais je préfère d’abord m’adresser à ceux dont », etc, schluuurp, et stop. Il fait 31 dans ma piaule, mais ce n’est pas de chaleur que je suis cramoisi.

     Sur ce, les passagers pour le réel, en voiture! L’hôtel de police de la ville présente, à 7h et demie, un aspect général plus engageant que la surveille : il n’y a presque personne. À l’accueil, une Mamie Konnétout aussi affable que bornée commence par remercier ironiquement le gamin… qui s’est défaussé d’un paquet encombrant? « Non, non, mais ce sont de simples auxiliaires, ils ont vingt ans, ils ne savent rien. – Il a pourtant téléphoné à qui de droit sous mon nez. Vous croyez qu’il bidonnait? – Non, la financière ptêt, mais moi j’ai trentandmétier, et ce que vous devez faire, c’est porter plainte au tribunal d’instance. – Contre un avocat! Les loups ne se bouffent pas entre eux. – Ça, c’est votre façon de voir. Écoutez, je vous donne un numéro, mais ma collègue vous dira comme moi. »

     À peu près, mais en nettement plus alzheimeuré. Ils ont fourré là au rancart une vioque effarouchée de tout, et qui, sous le choc d’être arrachée de si bonne heure à la routine des vols de scooters, bredouille d’un ton geignard : « Mais nous on n’a rien à voir avec ça! » Je baisse illico mes prix : « Laissez-moi une minute de votre temps! » Le sieur Briconnet allume en elle une lueur de compréhension : « Si c’est une société fictive, alors… mais c’est comme le travail au noir, il faut la preuve. – C’est justement pour la recueillir… – Votre affaire, c’est du commercial. Vous ne pouvez pas venir vous plaindre pour quelque chose qu’on vous aurait vendue trop cher. Nous on fait du Pénal, c’est-à-dire avec la Preuve. » Je ne garantis pas le verbatim absoludu reste, mais bien de cette phrase qui me fut bafouillée trois fois de suite, majuscules incluses, et s’avéra conclusive. « Il n’y aurait pas moyen de rencontrer quelqu’un d’un peu plus intelligent? » Bah, la réplique ne m’aurait même pas fait jouir… Notez que cette demeurée était armée… et qu’après tout je ne suis pas si sûr duquel est le plus demeuré de nous deux. N’allait-il pas sans dire que ce n’était pas le bon endroit? Et qu’on mettrait systématiquement les incapables à l’Accueil, au lieu de les garder dans les jambes? Est-ce que j’y avais cru un instant, à ma scène de roman? La réponse n’est pas simple : je me suis demandé cent fois, dans mon Inventaire et avant, si croire avait pour moi le moindre sens, m’était seulement possible. Il me semble n’être rien d’autre qu’une attente de reflet et d’écho. Je ne crois en aucun dieu, et cependant, dans une chambrette clivée, j’y pense sans cesse, et ne serais guère étonné d’être expédié en Enfer avec un : « Tu as toujours cru en Moi. »

 

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Commentaires
Inventaire avant liquidation
  • Conclusion de la longue auto-analyse d'un narcipat incapable, 4 ou 5000 pages après le premier mot, de préciser ce qu'il a d'universel, de groupal ou de singulier. Un peu longuet, pour un constat d'échec! Mais je n'ai rien d'autre à proposer.
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